Théâtre / Infiniment drôle et absurde, brut, dark, vif, brillant, "Logique du pire" est la pépite théâtrale de mars. En 1h10, les Canadiens emmenés par Étienne Lepage étourdissent !
C'est un paradoxe qui peut-être n'en est pas un un : les penseurs donnent une matière incroyablement vivifiante aux jeunes artistes de théâtre. Des ouvrages théoriques, parfois difficiles à approcher, ils tirent une substance leur donnant à inventer des situations d'une vitalité épatante au plateau : Justine Lequette dans J'abandonne une partie de moi d'après Edgar Morin, ou tout récemment En réalités aux Clochards Célestes par la compagnie Courir à la catastrophe, d'après La Misère du monde, une somme dirigée par Pierre Bourdieu. Et voici que débarquent les Canadiens de Logique du pire, inspirés du livre du même nom du philosophe Clément Rosset. S'il fallait encore démontrer que les intellectuels ne sont pas (tous) déracinés du monde dans lequel ils vivent, des trentenaires stimulants en font donc la parfaite démonstration.
Dans cette pièce créée en 2016, le metteur en scène montréalais Étienne Lepage (rien à voir avec Robert) a fait de son texte un spectacle dont les saynètes absurdes se tuilent parfaitement, l'un de ses acteurs donnant une main invisible au suivant.
Life is life
Son quintet est d'un égal talent et il fallait bien ce niveau de précision de jeu pour transmettre des récits faits de douleurs (une masturbation jusqu'au sang, une chute violente sous l'emprise de l'alcool, un meurtre par inadvertance ou plus basiquement l'accompagnement d'une délégation de vieux cinéastes allemands de série B alors que l'on a « de la merde sous le soulier »). Le décor minimaliste (un canapé, un fauteuil) est amplement suffisant pour cette pièce dans laquelle l'introspection est réfutée par un des personnages, où le pratiquo-pratique l'emporte sur toutes sortes de considérations analytiques.
Pourtant, c'est via ce pragmatisme quasi benêt que Lepage affronte très brutalement l'absurdité humaine, nos instincts primaires, nos désirs et nos meurtrissures : « toute émotion devrait être accompagnée de sa fêlure » fait-il dire à Marilyn Perreault, par ailleurs magnifique dans sa tirade sur la cruauté.
Tout en ruptures de rythme, avec un grand travail sur la lumière, le son (le très planant Stronger Everyday de Stéphane Boucher composé pour Cirkopolis du Cirque Eloize), le mouvement chorégraphié, la troupe signe un spectacle aussi modeste qu'implacable. Et d'une drôlerie rare.
Logique du pire
Au Théâtre du Point du Jour (programmé par Les Célestins) samedi jusqu'au 30 mars