Drame / Ayant perturbé par accident une tradition religieuse masculine, une jeune femme a défié l'équilibre passéiste de son village macédonien. Prise en étau entre le sabre et le goupillon, elle ne renonce pourtant pas à son bon droit. Un conte moral corrosif et une actrice d'enfer.
Stip, en Macédoine. Trentenaire, surdiplômée, corpulente, célibataire, Petrunya est dotée d'un solide tempérament. Elle le prouve en se jetant à la rivière pour attraper la croix porte-bonheur lancée par le prêtre de la paroisse aux hommes du village. À leur grand dam. Mais malgré les intimidations physiques et policières la pressant de rendre la croix, Petrunya n'en démord pas : elle l'a gagnée. Et son histoire, devant les caméras, devient une affaire nationale.
Comment une tradition, en apparence bon enfant, apparaît comme le symptôme d'une société figée dans le jus rance du conservatisme : certains rites étant les faux-nez justifiant la survivance d'archaïsmes perpétuant ici le patriarcat, ailleurs la xénophobie, la haine du roux, de l'albinos ou du gay ; bref, tout ce qui n'est pas conforme à l'identité de la communauté, au sens “d'équivalence avec la majorité dominante“ — et désirant le rester. Faut-il que la gent masculine se sente menacée pour rugir en meute infantile contre le “sacrilège“ de Petrunya, obligeant le pouvoir temporel, vassal du spirituel, à enfreindre la loi en la retenant arbitrairement ? À une autre époque, cette anti-conformiste dépositaire d'un bagage intellectuel supérieur, se moquant de sa tenue vestimentaire et ne courant pas le guilledou, aurait été considérée (et brûlée) comme une sorcière hérétique par ces même villageois ; en l'occurrence, elle échappe de peu à un lynchage : est-ce réellement un progrès ?
Croix de bois, croix d'enfer
Par sa révolte quasi-mutique — car ses mots sont choisis, précis, pour remettre en cause la validité de son interpellation et la légitimité de sa rétention —, Petrunya révèle son ascendant psychologique, mental et moral sur cette cohorte d'hommes décérébrés prêts à tout pour récupérer un bout de bois, tels des toutous serviles en attente d'un hypothétique su-sucre. Il y a dans son personnage des échos à Rosa Parks ou au Bartleby de Melville, dont l'inertie douce finit par renverser un ordre qu'on croyait immuable.
En parallèle de sa résistance de principe, le combat de la journaliste visant à donner une réelle audience à ce qui ressemble à une querelle de clocher (si l'on ose), rappelle par sa désespérante inefficacité l'incursion des médias dans No Man's Land de Danis Tanović : l'issue ne peut venir de l'extérieur. Et ce sera évidemment Petrunya (magnifique Zorica Nusheva) qui assènera l'estocade à ce troupeau, avec la manière, rayonnant d'une beauté digne et majestueuse que le bataillon des imbéciles ne voit pas.
Dieu existe, son nom est Petrunya (Mac-Bel-Fr, 1h40) de Teona Strugar Mitevska avec Zorica Nusheva, Labina Mitevska, Simeon Moni Damevski...