Biennale d'Art Contemporain / La Biennale a ouvert la semaine dernière, avec pour lieu central les anciennes usines Fagor. Rencontre avec deux des sept commissaires invités, venus du Palais de Tokyo à Paris, qui ont conçu et impulsé cette quinzième édition dédiée au(x) paysage(s).
La grande nouveauté de cette biennale c'est son lieu central : les anciennes usines Fagor et leurs 29 000 m² de surface ! Comment avez-vous abordé ce lieu gigantesque et industriel ?
Yoann Gourmel : Nous avons pris le parti de ne pas transformer les usines en musée (pas de construction de cimaise, des marquages laissés au sol, etc.). Et nous avons profité des différentes atmosphères des hangars : certains sont plus sombres, d'autres monumentaux... Cette exposition est en lien et en dialogue avec les lieux, leur histoire industrielle, leur ancrage dans le quartier et dans la ville. Elle est conçue comme un paysage que le visiteur traverse, découvrant ici ou là des œuvres en friction, en écho ou en dialogue avec ce qui les entoure. Rappelons qu'à l'origine et jusqu'à aujourd'hui, basiquement, un paysage est une découpe dans le réel (nature ou autre) en fonction d'un point de vue humain.
Là où les eaux se mêlent serait donc un paysage, et aussi une mise en relation, un entremêlement ?
Y.G. : Aujourd'hui, on ne peut plus penser le monde sans penser à une "poétique de la relation" (selon l'idée et le titre de l'ouvrage d'Edouard Glissant). Cette relation recouvre bien sûr la relation aux autres, mais aussi les relations au vivant, au non vivant, à l'Histoire... Ce sont des idées très importantes dans la pensée contemporaine (par exemple chez les anthropologues Tim Ingold, Philippe Descola...), et qui n'ont rien à voir avec une perception new age des choses.
Adelaïde Blanc : Les artistes invités partagent tous cette sensibilité, mais ils ne l'expriment pas de la même manière, ni de façon directe.
Parfois les œuvres expriment cet entremêlement ou cette traversée des frontières dans leur matérialité même : des bactéries agissent sur des œuvres, des éléments biologiques se transforment...
Circuit court
Ce n'est pas une expo théorique alors ?
Y.G. : Pas du tout ! Nous avons donné des indications, des idées directrices, des impulsions, mais les œuvres ne sont jamais un simple commentaire, ni une illustration, ni une proposition morale. Elles ouvrent des perspectives, elles jettent des regards différents sur le monde, regards qui peuvent tour à tour se révéler inquiets, engagés, humoristiques.... Il y a une très grande diversité de formes plastiques et de propositions de la part des 56 artistes internationaux invités (de toutes générations, de tous horizons géographiques). Pour nous, il est primordial de toujours mettre l'artiste au centre de l'exposition (chacun s'est approprié à sa façon le lieu, l'histoire du lieu, les entours du lieu), et aussi de proposer au visiteur une expérience et de l'inviter à se laisser traverser par les œuvres. De traverser un paysage et de se laisser traverser par les créations.
A.B. : Le choix des artistes est le fruit d'un travail et de discussions collectives à sept. Cette sélection n'est pas représentative d'une scène ni d'un territoire ni d'une génération. C'est une sélection à partir d'une approche sensible avant tout. Nous avons l'habitude de travailler de cette manière-là au Palais de Tokyo, et aussi de partir du travail des artistes et non pas de lignes théoriques ou artistiques définies a priori.
Il y a beaucoup de créations pour cette édition...
Y.G. : Oui, presque toutes les œuvres de la Biennale sont des créations. Et cette édition a pour particularité une production en circuit court, en lien direct avec le tissu économique, technologique, universitaire, associatif, industriel, de la ville et de la région. Les Canuts et les traditions du tissage, comme plus récemment la vallée de la chimie, les industries de pointe régionales, ont été sollicités et ont participé à l'élaboration de certaines œuvres.
15e Biennale de Lyon, Là où les eaux se mêlent
Aux usines Fagor jusqu'au 5 janvier 2020