Photographie / En dialogue avec des peintures anciennes du Musée des Beaux-Arts, le photographe Éric Poitevin présente plusieurs séries d'images, réalisées pour l'occasion ou antérieurement. Une exposition impressionnante, à plus d'un titre.
Grands voire très grands formats, images hyper léchées, minimalisme distingué... Éric Poitevin coche quasiment toutes les cases du "Grand photographe plasticien contemporain". Pourtant, en déambulant parmi ses images qui résonnent, s'inspirent, côtoient des sculptures ou des peintures anciennes des collections du musée, c'est moins un effet spectaculaire qui nous affecte, qu'un intense courant d'air froid qui nous glace les yeux, avant de se répandre au cœur de nos entrailles !
Il fait, soudain, très froid dans les salles d'exposition, parmi toutes ces surfaces blanches des fonds d'images, ces drapés immaculés, et la mort comme motif omniprésent... La mort de Saint-François d'Assise momifié, ou celle qu'accompagne un pleurant, celle de nombreux oiseaux suspendus à un fil, celle de gibier de chasse pendu par les pattes et dégouttant de sang...
Cette mort saisie sur le vif, si l'on peut dire, résonne avec les procédés mêmes de la photographie. Comme les mots, mais avec des moyens d'expression différents, l'image tue la chose pour l'incorporer à son espace propre, pour la transvaser dans son milieu d'expression et ses significations possibles. Paradoxalement, images et langage doivent tuer la chose pour en conserver ou en métamorphoser "vivant" quelque chose : un souvenir, une trace, un sens, voire un monument fait d'affects et de perceptions.
Les parents d'Éric Poitevin tenaient une charcuterie dans une petite ville de Lorraine, et l'on pourrait oser un parallèle entre ce qui meurt et ce qui permet la vie, la beauté cruelle de ce cycle carnassier où un individu mort entre en dans la composition d'un autre individu vivant. Comme un individu "absenté" entre dans la composition de son image vivante. Oui, l'art dévore et digère le vivant !
Affirmer la vie
Il n'y a pas que des individualités mortes-vivantes, mortes-ressuscitées, dans l'exposition d'Éric Poitevin, mais aussi des portraits (désarmants), des nus, des paysages, des végétaux esseulés. Ce qui frappe de nouveau dans ces photographies, c'est un procédé d'isolement et d'individualisation du sujet (humain, animal ou végétal), dans l'espace immense du cadre de l'image. Ici, pas de contexte, pas de relation, pas de narration. C'est frontal, acéré, presque chirurgical.
Éric Poitevin voulait devenir vétérinaire dans sa jeunesse et a souvent accompagné son cousin vétérinaire dans ses interventions. De cette expérience, il a peut-être gardé un regard clinique qui scrute frontalement (à distance et en empathie à la fois) la vie ou la mort dans un corps individuel, abstrait de son existence coutumière. Comme le médecin, le photographe observe avec acuité les corps, suspend le temps et étend une durée, tente de réveiller la vie, lutte contre la mort.
La vie, la mort, chez Poitevin, jaillissent en pleine figure, et c'est très beau. Une beauté affirmant l'existence dans tous ses états, jusque dans l'état, arraché au temps, d'image photographique. On pense alors, en la pliant un peu à notre guise, à la phrase fameuse de Georges Bataille : « l'érotisme c'est l'approbation de la vie jusque dans la mort. » Eh oui, il y a de la beauté, il y a de l'érotisme dans l'air... aussi glacial soit-il !
Éric Poitevin invité
Au Musée des Beaux-Arts jusqu'au dimanche 28 août
Bio express
1961 : Naissance à Longuyon en Meurthe-et-Moselle. Son père est charcutier
1985 : Diplômé de l'École des Beaux-Arts de Metz. Réalise en deux ans une série de cent portraits d'anciens combattants de la guerre 14-18
1996 : Exposition déterminante dans sa carrière à la galerie Sparta à Chagny
Depuis 2008 : Enseigne aux Beaux-Arts de Paris
2020 : Invité en résidence au Musée des Beaux-Arts de Lyon
2022 : Exposition monographique au Musée des Beaux-Arts de Lyon. Exposition collective au Musée d'Art Contemporain de Lyon