Théâtre / Performance / Il est acteur formé au Conservatoire national, elle est actrice formée à l'Iris à Villeurbanne, et aussi DJ (Mademoiselle Charby). Mathieu Huot et Marieke Sergent se rencontrent lors de la pièce du premier (Quartett, d'Heiner Müller) dans le lieu où elle travaille, le Lavoir Public, en 2017. Ensemble, et avec d'autres, entre Berlin, Istanbul, Paris, Lyon, ils inventent désormais le projet fou de monter l'intégralité du Faust de Goethe, un marathon de presque 24h à voir à l'Élysée. Interview préalable.
Qu'est-ce qui vous mène à monter les sommes que sont les Faust I et II de Goethe publiés en 1808 et 1832 ?
Marieke Sergent : Parce que Das Kollektiv Mahu, auquel nous appartenons, est un collectif franco-allemand. Que le Faust en entier est très rarement joué et c'est dommage. C'est assez imposant et fou, particulièrement le Faust II, un peu délirant. Et ça correspond à notre procédé de distribution libre où chacun peut tout jouer, dans n'importe quel ordre, où on prend le relais sur un rôle, où les gens peuvent venir car on laisse toujours des textes et des costumes à disposition ; le public peut jouer avec nous et abattre ce fameux quatrième mur — c'est une vraie démarche dans le collectif Mahu de faire un espace partagé. Mais il ne faut pas faire flipper les gens, personne n'est obligé à rien, on peut totalement être en dehors, il y a une grande liberté. On met en place un dispositif dans lequel les gens peuvent aller, mais l'idée n'est pas de mettre mal à l'aise quiconque !
Mathieu Huot : nous sommes cinq au plateau. Si on voulait, on pourrait tout jouer nous-mêmes. Mais nous proposons une cession de 24h de jeu or, s'il n'y a que nous cinq pour jouer 150 personnages, c'est une gageure — mais on est joueurs. On serait prêts à le faire mais c'est pas ça qui nous amuse le plus. C'est de nous laisser surprendre par ce qui arrive ici et maintenant avec les gens qui sont là.
À Lyon, on fait un workshop co-organisé avec l'organisme franco-allemand de La Plateforme. Ça permet de préparer une poignée de gens à jouer. Chaque soir, ils seront avec nous pendant qu'on présente des tronçons de Faust et pendant le marathon de 24h. C'est un deuxième cercle de gens — une petite dizaine — et le troisième cercle, ce sont les spectateurs, qui se présentent au feeling. Le Docteur Faust est celui qui a pactisé avec Méphisto pour réaliser toute ses envies car il avait trop de frustrations dans sa vie. Toutes les expériences et connaissances qu'il a acquises ne l'ont pas aidé à changer le monde ni sa vie. Or il veut les changer. On propose aux gens de pactiser avec nous, avec Das Kollektif Mahu. S'ils ont une envie subite, ils peuvent la réaliser soit en la faisant eux-mêmes soit en nous disant quoi faire (en demandant des lumières, un son...).
Serez-vous fidèle à la traduction, en vers, de Jean Malaplate ?
Mathieu : Très fidèle !
Marieke : Aucune liberté ! (rires). Comme il peut s'opérer des changement de rôles, à chaque réplique on dit même toutes les didascalies, le nom des personnages pour essayer de garder un fil de compréhension sur les scènes. C'est une partition.
Les gens peuvent dormir pendant le spectacle
Il y a eu de grands spectacles marathon (mis en scène par Jean Vilar, Peter Brook, Olivier Py, Thomas Jolly, Julien Gosselin...). Avez-vous déjà expérimenté ces défis ?
Marieke : Non, si ce n'est la Nuit Mouawad à Avignon.
Mathieu : Oui. Le plus long que j'ai fait c'était Mount Olympus de Jan Fabre durant 242h. J'ai aussi une étape de travail des deux tiers du Henri VI de Thomas Jolly (NdlR : 18h au total), la Nuit unique du théâtre de l'Unité qui durait toute une nuit. C'est ce rythme qu'on a envie de proposer. Transformer le théâtre en un lieu de vie, un peu comme un atelier artistique. Les gens peuvent dormir pendant le spectacle, on passe du temps ensemble. C'est un rapport différent. L'écoute n'est pas la même dès le départ, l'implication des spectateurs non plus, le rapport à l'ennui ou aux longueurs est différent car de toutes façons, sur 24h, il y en a des longueurs, c'est la vie, c'est pas grave.
Quelles libertés et contraintes ça génère ?
Mathieu : Il faut tenir, être en forme. Passé la quarantaine, ça devient un enjeu ! Ça nous permet der développer un lien aux spectateurs particulier, de les mettre en confiance dans leur capacité à être créatif eux aussi, dans leur audace. Ça prend du temps, il faut apprendre à se connaitre un peu, à savoir comment ça peut fonctionner. C'est ce qu'on se donne : du temps. Et ça laisse à Goethe le temps de développer l'insatisfaction du désir, d'en tirer tous les fils dramaturgiques possibles et imaginables. L'histoire part dans tous les sens et ça crée une sorte d'univers-monde autour d'un thème ; il faut ce temps-là pour plonger dans ce monde et se balader à l'intérieur.
Marieke : se donner du temps dans le monde dans lequel on vit aujourd'hui et aussi éminemment politique ; ne pas être dans une injonction à la productivité et à la réussite. Il peut y avoir un moment mort, mou, hors du Faust (manger un truc ensemble). Ça nous anime. Le théâtre doit devenir un terrain de jeu.
Marathon Faust
Au Théâtre de L'Élysée du mardi 18 au vendredi 21 avril (mardi, mercredi et jeudi : épisodes / de vendredi 19h30 à samedi midi : le marathon)
Un billet acheté ouvre le droit à venir sur chaque épisode et au marathon
Possibilité de s'inscrire pour les stages de jeu sur le site de La Plateforme