Loin des cartes postales, le photographe Francis Morandini (né en 1982, vivant à Paris) donne à voir une île de La Réunion plutôt blafarde, abrupte, évidée. De plusieurs résidences effectuées sur place entre 2018 et 2021, il a notamment ramené un ensemble d'images sur une artère traversant d'est en ouest la ville de Saint Denis. Tirées en "dos bleu" et collées directement sur les cimaises du Bleu du Ciel, ces photographies dressent un constat paradoxal de cette partie de la ville : entre délabrement et poésie, nature et urbanité, laideur et éclats de beauté inattendue.
Des racines d'arbres descellent des blocs de béton, des carcasses de voiture se recouvrent de végétation, des vêtements abandonnés meurent silencieusement en bord de mer, des magasins tombent en ruine, des panneaux se voient réduits à leur ossature de métal... Le cadrage est souvent frontal, les lumières particulièrement blanches et les couleurs éteintes.
Connu pour ses paysages, Morandini s'aventure ici dans une esthétique du fragment, de la ruine, de la trace. La perception du passage du temps (du "travail" du temps sur les choses) est ici particulièrement forte : comme si les objets, les véhicules, les bâtisses, les échoppes étaient réduits à leur squelette, à leur ultime et dérisoire état d'existence matérielle. Bien sûr, autour, la nature rôde pour reprendre, si ce n'est le dessus, du moins une place.
Francis Morandini, Le Grand Chemin
Au Bleu du Ciel jusqu'au samedi 29 avril