Festival / Le rendez-vous annuel des Jeudis des Musiques du Monde tire sa révérence cet été. Le festival, organisé par le Centre des Musiques Traditionnelles Rhône-Alpes (CMTRA) au Jardin des Chartreux (1er) est ancré dans le paysage lyonnais depuis 1997. À un mois de cette 26e et dernière édition (6-27 juillet), rencontre avec Aurélie Montagnon, coordinatrice générale du CMTRA, et Marie Delorme, coordinatrice du festival qui réfléchissent à un tout nouveau projet.
Cette année marque la dernière édition des Jeudis des Musiques du Monde. Pouvez-vous nous expliquer ce qui vous pousse à arrêter ?
Marie Delorme : C'est une somme de plein de petites choses. D'une part le jardin des Chartreux va être fermé au moins l'été prochain, et peut-être un peu plus. Ils estiment la fin des travaux en printemps 2025 mais on sait qu'avec les retards ça peut vite dépasser. Le festival a toujours été là-bas, donc ça nous a amené à réfléchir à déménager. Au début, on se disait qu'on allait déménager de manière temporaire. Finalement, on se dit qu'il faut peut-être en profiter pour déménager complétement et changer le format du festival. D'autre part, organiser un festival tous les jeudis c'est assez coûteux, techniquement parlant. Chaque jeudi on monte et on démonte les lumières, les barnums, on fait venir des prestataires, pour six soirées au total dans les éditions classiques. Ce sont des détails techniques qui font qu'en terme d'installation, le festival coûte de l'argent, et depuis la crise sanitaire, on en perd. En 2021 avec le pass sanitaire, on a perdu des sous. L'année dernière on n'a pas réussi à avoir à nouveau le public qu'on avait avant le covid. Il faudrait que la jauge soit toujours à 100 %. Donc on n'a plus un budget suffisant pour les artistes, l'accueil du public qui soit à la hauteur de ce qu'on voudrait, pour payer correctement les gens, etc. Donc on est en train d'imaginer en profiter pour faire un format plus classique sur plusieurs jours d'affilée, qui coûterait moins d'argent en terme technique et qui permettrait de faire d'autres choses. Car le format du festival tel qu'il existe depuis 1997 est contraignant. Comme c'est dans un jardin public le jeudi soir, il y a tout un tas de choses qu'on n'arrive pas à faire : des ateliers pour les familles qu'on appelle "les petits jeudis" sont un créneau un peu serré, de 19h à 20h. On a envie de faire des conférences musicales, parce qu'on a aussi une activité de recherche, mais on n'a jamais pu le mettre en place. À chaque fois c'est la même chose, il faut sécuriser le parc, avoir des agents de sécurité, c'est le jeudi donc ça ne colle pas pour faire des choses l'après-midi, ça dépend si les gens sont en vacances ou pas ... Donc effectivement, c'est la fin des Jeudis des Musiques du Monde dans ce format avec l'idée de le transformer en autre chose et ne pas arrêter complétement cette activité-là.
Aurélie Montagnon : Il y avait aussi l'idée que le festival a été créé il y a 26 ans, parce que l'été à Lyon, il ne se passait pas grand-chose. Pour les Lyonnais qui ne partaient pas en vacances, l'idée c'était quand même qu'il y ait une offre, c'est pour ça que c'est un festival gratuit qui se veut populaire depuis le début. Or, maintenant, il y a "Tout l' monde dehors" avec pas mal d'événements qui se passent l'été. Donc, on se dit aussi qu'on peut changer la temporalité du festival, toujours dans l'idée qu'il soit le plus accessible possible et qui se place à un moment où on manque d'offres peut-être.
MD : Il a été pensé comme ça une fois par semaine pour les gens qui ne partent pas en vacances, et que ce soit un rendez-vous régulier. Effectivement, maintenant il se passe plein d'autres choses. En parallèle, on a appris que cette année, la ville de Lyon baissait les subventions du festival donc ça nous a confirmé le fait qu'il fallait qu'on revoie notre modèle économique et qu'on change la manière de faire le festival parce que, financièrement on ne peut plus proposer un festival gratuit, tous les jeudis.
Puisqu'on aborde le sujet, comment se financent les Jeudis des Musiques du Monde ?
MD : Les « Jeudis » c'est un budget à part mais qui fait partie du CMTRA, le Centre des Musiques Traditionnelles Rhône-Alpes. Le financeur principal et historique c'est la Ville de Lyon. C'est la Direction des événements et de l'animation qui met à disposition un budget. Ensuite, à chaque édition on refait des demandes de financements et donc c'est variable d'une année à l'autre. Mais depuis plusieurs années, la Métropole de Lyon nous finance sur un volet rayonnement international/relations internationales. Il y a aussi la SACEM, la DRAC (ministère de la Culture) depuis l'année dernière. On est aussi en recherche de mécénat chaque année et ça varie d'une année sur l'autre. Cette année, on sait que le Crédit Mutuel va nous soutenir, pour la deuxième fois et la Fondation Orange pour la première fois. C'est une bonne nouvelle, ça va nous permettre de souffler un peu. Quand on a appris la baisse de subventions de la Ville de Lyon, on a discuté avec eux, ils nous ont proposé de ne faire que trois soirées au lieu de six. Mais, dans ce format, ce n'est plus un festival et on va perdre les autres financeurs. Il faut, au minimum, qu'on en fasse quatre sur tout le mois de juillet, ce qui se ferait à perte s'il n'y avait pas les mécènes qui nous ont confirmé leur partenariat, ça rééquilibre. Tout va bien.
Parlons de la subvention de la Ville de Lyon, comment vous a-t-on expliqué cette baisse ?
MD : On a 32 000 € depuis longtemps. On a eu un rendez-vous avec les représentants des services de la Ville qui nous ont expliqué au mois de février que la politique de la Ville évoluait. Ils veulent que l'événementiel soit plus en lien avec une politique pérenne. On leur a expliqué que les « Jeudis » sont un repère pour les Lyonnais et pour les artistes, ce n'est pas que de l'événementiel. Leurs autres arguments étaient aussi qu'ils voulaient financer autre chose, qu'ils avaient plus de budget pour le cinéma, la littérature. Ils nous ont annoncé une baisse de 5 000 €. Donc 27 000 €, au lieu de 32 000 €. Ce n'est pas une baisse incroyable mais c'est le socle financier qu'on a, parce que les subventions ce sont 20 à 30 % du budget du festival (aide de la ville comprise) ; tout le reste ce n'est que de la buvette et la restauration. On a vraiment besoin de ce socle-là pour développer le reste. Il suffit qu'un soir il ne fasse pas beau et on fait très peu de recettes. Donc 5 000 € de baisse pour nous, c'est important surtout après le covid et l'inflation.
AM : La jauge peut aller jusqu'à 4 500 personnes. Donc en termes de visibilité pour les artistes émergents ce sont déjà des jauges importantes. La ville de Lyon nous a appelées à rediscuter avec eux de la place du CMTRA et d'un tel événement sur les années à venir. C'est un appel à requestionner le format du festival et à se reposer des questions avec eux. On espère que c'est un véritable appel à réfléchir avec eux sur la place des musiques traditionnelles sur la métropole et pas une annonce de descente de budget petit à petit, d'année en année.
Quelles sont les propositions de changements pour les Jeudis des Musiques du Monde ?
MD : Une des propositions de la ville de Lyon est de faire une programmation à l'année dans les lieux de la ville. Mais il y a déjà des lieux qui font de la musique du monde. L'intérêt des « Jeudis » c'est que c'est un festival très populaire avec des populations qui se mélangent beaucoup. Parce que c'est en plein air, parce qu'on peut pique-niquer, parce que c'est gratuit, parce que c'est une programmation régulière avec des thématiques. Nous souhaitons proposer un rendez-vous très populaire et accessible, en terme financier. Ce qui nous questionne c'est, si on repropose quelque chose ailleurs, quel sera le soutien de la ville de Lyon ? Quelle est la place qu'ils veulent donner aux musiques du monde ?
AM : L'enjeu du festival et du CMTRA est de rendre visibles toutes ces cultures qui existent et qui sont partout sur la métropole mais qui sont complètement souterraines.
MD : On est en train de se dire que proposer un festival sur plusieurs jours consécutifs, week-ends compris, pourrait nous permettre de réaliser des choses qui ressemblent plus à toutes les activités de notre réseau du CMTRA, donc des ateliers, des bancs de discussion, des émissions radio, des choses plus variées. On le prend aussi comme un challenge parce qu'on se dit qu'on va pouvoir se renouveler et offrir une visibilité à des associations, à d'autres manières de parler et de faire de la musique traditionnelle. Mais il faut qu'on soit accompagné. On a besoin de partenaires politiques qui nous soutiennent.
Programmation :
- Jeudi 6 juillet : Explosion Trad, de 19h30 à 23h30
- Ramdam Fatal, Le diable dans le bal, à 20h.
- Kin'gongolo Kiniata, Street punk rumba, à 21h45.
- DJ set : Mambo Chick, Vinyles des quatre coins du monde.
- Jeudi 13 juillet : Odyssée gréco-bulgare, de 19h30 à 23h30
- Baba Marta et Ispolin, Musiques et chants bulgares, à 20h.
- Deli Teli, 60's/70's Greek revival, à 21h45.
- DJ set : Captain XXI, Digger de sillons rares.
- Jeudi 20 juillet : Syrie et Moyen-Orient, de 19h30 à 23h30
- Shezar, Musiques d'Orient oniriques, à 20h.
- Sarab, Jazz-rock oriental, à 21h45.
- DJ set : Digital Cheikhates, Raî, chaoui, staifi, électro.
- Jeudi 27 juillet : Caraïbes Club, en partenariat avec Black Atlantic Club, de 19h30 à 23h30
- Aïtawa, Psychedelic afro-colombian, à 20h.
- Colectivo Caliente et El Elegante, Son y salsa afro-cubana, à 21h45.
- DJ set : James Stewart, Musiques de l'Atlantique Noir.