Apocalypse redneck / Demián Rugna se réapproprie avec intelligence, personnalité et sans compromis les codes horrifiques qu'il investit dans ce récit de possession gore et énervé, peuplé d'enfants inquiétants. Attention film méchant !
En introduction, deux frères, Pedro et Jimi, sont confrontés à des événements étranges qu'ils imputent à un homme que tout le monde dit possédé. Ce prologue impose la particularité d'une œuvre extrêmement maîtrisée, convoquant des relents de western et de film de rednecks délocalisé dans la campagne argentine. Il ne s'agit pourtant que d'une simple mise en bouche quant au cauchemar à venir et au cocktail épicé, secoué avec rage par un cinéaste assurément doué.
Hache, gore, tuerie et tradition
Imprévisible, Rugna alterne horreur suggestive (science avérée du hors-champs) et violence ultra frontale (vous êtes prévenus). Il embrasse pleinement une tradition du gore crapoteux et pose des règles strictes qui ne vont cesser de nourrir son projet de cinéma. Pour combattre le mal à l'œuvre, point d'armes à feu, son éradication doit se faire de manière plus brutale, « à l'ancienne ».
En découle une sauvagerie viscérale inattendue, passant outre certains tabous filmiques, sans pour autant verser dans la complaisance crasse. Au contraire, au cœur de ce récit apocalyptique, le réalisateur filme des êtres en marge, imparfaits, abandonnés par la société, sans jugement moral ni romantisation (les personnages ne sont pas sympathiques).
Ces individus, dont le passé parfois sombre n'est pas dissimulé, se refusent à baisser les bras face à la menace et acceptent de se salir les mains. Derrière l'allégorie, c'est aussi une population argentine à cran qui apparaît sur l'écran, celle qui quelques mois plus tard, entre colère et désespoir, portera au pouvoir le populiste Javier Milei. En connaissance de l'issue du scrutin, un sentiment de fatalité imprègne la pellicule.
... et l'enfer le suivait
When evil lurks cherche moins à révolutionner le genre, qu'à harmoniser des courants variés et des sources d'inspiration diverses, tant sur le plan de la période (l'horreur seventies sanctifiée par Massacre à la tronçonneuse) que celui de la géographie (The Strangers, Les Révoltés de l'an 2000 ou le méconnu The Children). Le cinéaste impose sa singularité en embrassant son décorum.
Loin des habituels champs du Texas, il pose sa caméra dans une Argentine rurale et obscurantiste. Multipliant les références bibliques (un personnage se nomme Uriel), il affiche clairement son nihilisme. Ici, « les églises sont mortes » et la religion n'est plus d'aucune utilité face à un mal qui se transmet tel un virus. La crainte de nouvelles générations venues punir leurs aînés pour leurs erreurs sonne comme un signe des temps. L'avenir est incertain, angoissant, et l'ancien monde se retrouve désemparé devant ce qu'il a lui-même engendré. Un constat amer, sans appel, à l'image d'un film qui place son pays et son auteur sur la carte du cinéma horrifique.
When evil lurks
De Demián Rugna (Argentine, 1h39) avec Ezequiel Rodríguez, Silvina Sabater, Luis Ziembrowski...
En salles le 15 mai 2024