Du drame surnaturel en forme de destins croisés que le sujet autorisait, Clint Eastwood ne conserve que les drames individuels de ses personnages, dans un film d'une grande tristesse et d'une belle dignité.Christophe Chabert
Journaliste star de France Télévisions, Marie Lelay (Cécile de France, convaincante malgré quelques maladresses concernant l'activité de son personnage) est emportée par le tsunami thaïlandais de 2004. Elle vit alors une expérience de mort imminente au cours de laquelle elle distingue des silhouettes sur un fond blanc aveuglant. De retour en France, elle reste hantée par cette vision. Dans le même temps, à Londres, le frère jumeau de Marcus, Jacob, meurt écrasé par une voiture. Et à San Francisco, George Lonegan (formidable Matt Damon, aussi massif que fragile), medium vivant son «don» de communication avec les morts comme une «malédiction», tente de se reconstruire en travaillant à l'usine et en suivant des cours de cuisine. On voit bien les écueils qui guettaient "Au-delà" : son rapport au paranormal, qui a déjà donné naissance à une flopée de nanars new-age et son scénario en destins croisés et mondialisés façon Iñarritu. Mais Clint Eastwood, justifiant l'admiration qu'on peut avoir pour son cinéma, déjoue tout cela par la seule intelligence de son point de vue. Le surnaturel n'est pas son problème, mais celui de ses personnages ; ce qui l'intéresse, ce n'est pas de savoir s'il y a quelque chose après au sens religieux du terme (il renvoie ainsi Musulmans et Chrétiens dans la même impasse spirituelle), mais comment cette proximité à la mort entrave et paralyse les vivants. Quant aux fils du récit, ils ne se rencontreront que lors d'une conclusion logique qui n'a rien d'un coup de force scénaristique.
Le tact eastwoodien
Passée l'ouverture spectaculaire et terrifiante, "Au-delà" se concentre donc sur l'humain, rien que l'humain. La mise en scène d'Eastwood est majestueuse, notamment quand les silences y sont plus importants que les mots. Une scène remarquable et quasi-muette montre la complicité des jumeaux née de la démission de leur mère, alcoolique et toxicomane. Mais ce sont les passages entre Damon et Bryce Dallas Howard qui prouvent le tact du cinéaste face aux situations mélodramatiques : toujours à la bonne distance de ses personnages, toujours attentif à la durée de leurs embarras et de leurs hésitations, on a le sentiment qu'il cherche à se faire oublier pour mieux révéler une troublante vérité humaine. Le plus surprenant dans ce film très noir, où il faut faire l'expérience de la solitude absolue pour espérer revivre quelque chose ensemble, c'est qu'il n'est ni testamentaire, ni morbide. Eastwood, qui semble avoir réglé la question dans "Gran Torino", est lui aussi du côté des vivants, dans la lumière plutôt que dans l'ombre. Son cinéma n'est jamais larmoyant, juste d'une immense tristesse et d'une grande pudeur.