Passés en deux albums d'une pop joueuse et panafricaine à de bien plus amples ambitions, les geeks Californiens de Local Natives atteignent sur "Hummingbird" des sommets de splendeur. Le seul risque : qu'ils n'en redescendent jamais.Stéphane Duchêne
Il est des titres d'albums qui en disent davantage sur leurs auteurs que leur nom lui-même. Ainsi du deuxième né de Local Natives, Hummingbird, ou «oiseau-mouche», ce volatile américain qui se nourrit de nectar, voit les ultraviolets, vole sur place par la grâce d'un battement d'ailes haute fréquence et, malgré sa taille minuscule, s'attaque parfois aux faucons. Bref, une petite chose fascinante et merveilleuse qui défie pas mal de prétendues lois. Exactement comme Local Natives.
On avait découvert leur chanteur à moustache lorsque le groupe avait su s'imposer, avec son premier album Gorilla Manor, à la table du panafricanisme pop – que préside depuis le départ Vampire Weekend, sous un portrait géant de Paul "Pote" Simon tenant en ses mains son Graceland. En quelques mois, ces Californiens qui vivent en communauté geek façon Big Bang Theory dans leur manoir simiesque d'Orange County, banlieue de Los Angeles aussi aisée qu'épuisante d'ennui, étaient ainsi passés du statut d'intouchables à celui de hipsters. Ils n'en avaient pas changé de mode de vie pour autant, continuant de butiner avec frénésie le nectar des grands maîtres des 60's et 70's.
«Comme un oiseau puissant sur ses libres ailes»
Mais pour Hummingbird, le groupe a décidé d'élargir quelques horizons déjà entrevus, le manoir se faisant cathédrale à la voûte céleste sous la férule du National Aaron Dessner : son ample et atmosphères suroxygénées, sous perfusion opiacée de Fleetwood Mac et par extension de Midlake circa The Trial. Parfois on croit aussi entendre comme du Arcade Fire (Mt. Washington), avec lequel les Local Natives ont tourné, ou du Sigur Rós fondu (Three Months). Les chœurs à la Beach Boys et les pointes d'africanité précitées ont ainsi fait place aux acrobaties aériennes et à ce genre de vocalises dont seuls sont capables les oiseaux-mouches.
Trop heureux d'atteindre des cimes que, du fond de leur canapé, ils n'avaient peut-être jamais imaginé atteindre, les Local Natives se perdent presque dans l'abstraction, comme s'ils ne voulaient plus se poser, ivres de leur vortex vrombissant et de leurs nouvelles couleurs plus que de leurs chansons euh... volatiles. Ayant appris à voler – «comme un oiseau puissant sur ses libres ailes», écrivait Walt Whitman, le désormais quatuor doit maintenant apprendre à atterrir. Au risque de finir comme ces oiseaux de légende qui meurent de ne pouvoir se poser.
Local Natives + Wall
A l'Epicerie Moderne, lundi 4 mars