Derrière l'étrange titre En courant, dormez se cache une pièce de Oriza Hirata typiquement japonaise, autrement dit lente et dépouillée. Le plateau construit par le metteur en scène Olivier Maurin est à cette image : composé de quelques éléments dont aucun n'est superflu et en long, ou plutôt en format "paysage", comme on le dit joliment dans le domaine de l'imprimerie. Un terme qui correspond parfaitement à ce spectacle inattendu dans lequel les comédiens utilisent non seulement tout l'espace visible, mais aussi les portes du Théatre de l'Elysée, nous laissant imaginer l'extérieur et l'horizon de ce pays encore très traditionnaliste.
Le pitch, qui évoque le quotidien en 1923 de Osugi Sakae et Ito Noe, un couple d'anarchistes tokyoïtes, est au premier abord un peu décevant : il n'est question que d'une jeune femme enchaînant les grossesses et de son homme, attentif et calme qui, entre deux conversations sur la vie quotidienne, lisent et traduisent des ouvrages, disséminés ici et là comme de précieux éléments de leurs vies. Ils vont et viennent dans leur maison, se parlent de manière presque caricaturale en ponctuant leurs phrases de tics de langage (han han, héhé)... Mais en tenant ce style, les comédiens en font une force, à mesure qu'est évoquée une participation de Monsieur à un congrès à Berlin et que le bruit de tasses qui s'entrechoquent sur une table soudain tremblante contredit la torpeur apparente.
Le monde gronde de plus en plus sourdement, l'oxymore du titre prend peu à peu son sens... Mais c'est sur un papier distribué à la sortie que se trouve l'épilogue : le séisme qui décimera le Japon en septembre 1923 sèmera une telle panique que l'État en profitera pour faire assassiner les deux dissidents.
Nadja Pobel
En courant, dormez
Au Théâtre de l'Elysée, jusqu'au samedi 12 octobre