Interview / Pour son troisième long métrage, Jeanne Herry s'intéresse à une étonnante alchimie : la rencontre entre coupables et victimes dans le cadre de la justice restaurative. Un processus qui donne matière à réflexion cinématographique et révèle sa méthode de réalisation.
Comme avez-vous découvert l'existence de la justice restaurative, mise en place par des associations des victimes et l'administration pénitentiaire ?
J'étais en train de me documenter globalement sur le monde judiciaire, pour essayer de faire un film de procès, et j'ai découvert l'existence de la justice restaurative. J'ai trouvé ça passionnant : ça a allumé un feu, vraiment. J'ai eu envie de comprendre ce qu'était ce dispositif. Pendant 3 ou 4 mois, je suis allée me documenter auprès des gens qui mettent en place cette justice mais aussi du côté de ceux qui y ont participé. Tout le monde semblait dire que c'était ultra puissant, et qu'à la fin, ça tissait des liens. J'ai essayé de comprendre pourquoi ça marchait au bout de 5 rencontres — ça me paraissait très peu. En réalité, au bout de 15h d'échanges où les gens se mettent à nu les uns en face des autres, il y a une reconnaissance de l'humanité et de la souffrance des autres : l'autre nous ressemble, même si on est irréconciliable et qu'on n'ira pas boire un boire un verre avec lui, on le comprend un tout petit peu mieux.
Comme pour Pupille, vous n'avez voulu montrer que ce qui fonctionne...
C'est vrai, c'était encore plus criant pour Pupille. J'aurais pu tout à fait décider de montrer un service qui dysfonctionne, qui rate à cause de la souffrance ou de la difficulté à bien travailler — ce qui est aussi une partie du réel. Il se trouve qu'il y a des services qui fonctionnent bien et qui arrivent à mener les missions qui leur sont confiées. Mais je suis quelqu'un d'assez positif et optimiste de nature ; je suis plus douée pour ça. Même si je voulais montrer ce qui ne va pas bien, je pense que je le ferais très mal. Il y a une petite prime dans le cinéma français à la noirceur et aux mauvais sentiments ; il se trouve que j'adore explorer les bons sentiments.
Comment travaillez-vous le texte avec vos comédiens ?
Je donne un texte qui est très très très très précis et je leur demande de le respecter de manière très précise jusque dans la ponctuation. Mais avant, quand même, on se fait des rendez-vous en tête à tête. On lit le texte et on l'amende. Le texte, c'est des appuis : il y a des mots, des endroits qui vont générer de l'émotion quand on les dit. Il faut juste qu'ils soient placés au bon endroit, ce sont des rendez-vous du texte sur lesquels on sait qu'on va pouvoir s'appuyer pour déclencher une émotion forte.
Il y a deux fils narratifs qui se croisent. Celui du cercle — qui, davantage qu'un dispositif théâtral, évoque quelque chose d'orchestral — et celui de la soliste pour les séquences avec Adèle Exarchopoulos. La direction d'acteurs était différente entre la partie orchestre et la partie soliste ?
Il n'y a pas de direction d'acteurs différente ; ce sont juste deux situations différentes. Dans le cercle, ils étaient dix, avec neuf qui écoutaient. Il y avait énormément de soutien parce que chacun était logé à la même enseigne, chacun avait beaucoup de choses à dire, c'était coûteux d'un point de vue du jeu. Après le premier monologue de Leila, (elle a parlé pendant neuf minutes), tout le monde a applaudi et ça s'est renouvelé tout au long du tournage de manière très spontanée. Dans le petit bureau avec Adèle, on était moins dans la géométrie très pure du cercle : c'était un trait avec deux personnes reliées par un fil, de part et d'autre d'un bureau. Ce n'est pas dirigé différemment mais, ne serait-ce que pour elles deux, c'est différent d'être écoutées par neuf personnes, en cercle, ou d'être dans ce bureau plus petit, plus préservées, dans le regard d'une seule personne. Ça change quelque chose dans le jeu de manière intrinsèque.
Je verrai toujours vos visages, en salles le 29 mars, avec Leila Bekhti, Dali Bensalah, Adèle Exarcopoulos, Élodie Bouchez, Jean-Pierre Darroussin, Gilles Lellouche, Miou-Miou, Suliane Brahim