Un blockbuster tourné en faux-direct où des monstres attaquent Manhattan : Matt Reeves et JJ Abrams arrivent, malgré des faiblesses criantes, à renouveler le film-catastrophe en inaugurant la grande tendance de ce début d'année.Christophe Chabert
Après un avertissement mystérieux nous prévenant que le film que nous allons voir à été retrouvé sur le site anciennement appelé «Central Park», Cloverfield démarre en caméra vidéo subjective sur une poignée de séquences absolument inintéressantes. Un petit couple au saut du lit, elle nue dans les draps, lui derrière sa DV ; «Ça va se retrouver sur Internet !», lui (et nous) dit-elle. Plus tard, la caméra a changé de main, et la demoiselle d'amoureux. C'est maintenant un geek lourdaud qui filme la soirée d'adieu de l'amant éconduit, et chaque participant doit lui enregistrer un petit message. Comme on regarde la cassette en entier, on se farcit toutes les longueurs et tous les ratés de cet amateur plutôt doué pour le cadre. Après une énorme explosion, la panique s'installe, tous les convives fuient dans la rue où ils assistent, médusés, à la décapitation de la statue de la liberté.
You entube
Qu'on se le dise, Cloverfield repose sur un concept malin proprement piqué à celui du Projet Blair Witch, en plus abouti toutefois. JJ Abrams, créateur de Lost et véritable instigateur de la supercherie, pratique ainsi une mise à jour du blockbuster en le faisant coller aux désirs d'une génération d'accrocs aux images anonymes piochées sur youtube, et à celle des gamers immergés dans une action virtuelle en temps réel. En termes d'efficacité, la mutation est payante : certaines scènes sont vraiment spectaculaires et novatrices, faisant ressentir physiquement la situation, même au prix de quelques bidouilles et emprunts grossiers (notamment au chef-d'œuvre sud-coréen The Host). Mais au moins, Reeves et Abrams ne trichent pas : au-delà de cette mise en scène trop vraie pour être honnête, il y a un authentique film-catastrophe avec un monstre d'autant plus réaliste que ses pixels se confondent avec celles de la caméra. Mais si Cloverfield, qui a quand même de gros travers (les têtards caricaturaux qui lui servent de personnages, notamment), nous intéresse de près, c'est qu'il clôt une tendance cinématographique très contemporaine et en prépare une autre, encore plus passionnante. D'un côté, celle des films qui s'inscrivent dans l'actualité récente par la simple évocation visuelle d'événements médiatisés et traumatisants (comme 28 semaines plus tard ou La Vengeance dans la peau), sans autre jugement que celui d'un inconscient collectif au travail ; de l'autre, un cinéma du faux qui dissimule sa mise en scène pour mieux la faire réapparaître. Que ce soit l'œuvre de vétérans comme De Palma et Romero ou de jeunes loups comme Jaume Balaguero et Paco Plaza, l'année 2008 verra des expériences du même ordre déferler sur les écrans. Cloverfield aura eu le mérite (ou la roublardise) de tirer le premier. Mais le plus beau reste à venir...
Cloverfield
De Matt Reeves (ÉU, 1h30) avec Michael Stahl-David, Lizzy Caplan...