Critique / Les frères Dardenne ont récolté une deuxième palme d'or avec L'Enfant, thriller social où ils retrouvent leur style et leur manière unique de regarder leurs personnages. Un concentré de leur cinéma qui n'est pas sans longueur, mais pas sans force non plus. Christophe Chabert
Ce titre, L'Enfant, est un trompe-l'œil, induisant d'entrée une fausse parenté avec le précédent film des frères Dardenne (Le Fils). Tant qu'à faire, il aurait mieux valu appeler ça Le Couple, même si de frasques conjugales il n'est guère question ici. C'est pourtant cela que filment d'abord les Dardenne : un homme et une femme, cheveux cougars au vent des terrains vagues belges, avec un enfant au milieu. Mais cet enfant qui ne pleure jamais (il vient pourtant tout juste de naître) est comme un MacGuffin, un objet plus qu'une personne, objet dans lequel ce couple investit sa fierté ou sa survie.
Voilà le bug : pour Sonia, cet enfant est une raison d'être dans un monde dont elle n'attend plus grand-chose ; pour Bruno, petite frappe vivant d'expédiants minables, le gosse est une monnaie d'échange comme une autre, un bien qui peut un temps assurer leur train de vie. Quand on lui propose 5 000 euros contre le gamin, il accepte et, une fois le troc accompli lors d'une séquence stupéfiante, il retourne vers sa copine : "C'est pas grave, on en fera un autre...". Incroyable réplique, d'autant plus incroyable que c'est un excellent Jérémie Rénier qui la lâche avec une candeur effrayante.
Action sociale
Les pauvres ne sont pas des saints, c'est le credo des frères Dardenne depuis La Promesse. Acculés par la misère, livrés à une loi sauvage qui valorise les transactions de tout ordre, ils peuvent être amenés de bonne foi au pire des crimes. Il n'y a guère que la solitude qui puisse leur faire comprendre la portée de leurs actes. C'est toute la force de leur cinéma : leur caméra sportive collée aux basques de leurs personnages n'est pas là que pour trembler dans tous les sens et créer un effet de réel. Ce qui compte ici, c'est bien la vérité qui se dégage des plans. Pas qu'ils soient crédibles (c'est dans un autre espace que cela se juge) mais que le spectateur sente que ce personnage-là, dans cette situation-là, avec ce regard de cinéaste(s) posé sur lui, ne peut pas agir autrement. L'Enfant, en cela, décrit un trajet existentiel implacable de logique : après la vente, Bruno rachète l'enfant pour faire plaisir à sa copine, le rend à Sonia, qui rejette pourtant son compagnon ; l'errance du garçon commence.
Les Dardenne passent alors par leur traditionnel petit tunnel (moins long que dans Le Fils) avant de revenir avec une scène jamais vue chez eux : une séquence d'action haletante, comme la rencontre entre Bresson et Besson, qui débouchera sur une possible rédemption (pour le coup, la référence à Pickpocket est évidente). Fin libératrice peut-être, mais qui n'occulte pas ce que le film aura martelé 1h30 durant : la première victime de la misère, c'est définitivement la morale.
L'Enfant de Luc et Jean-Pierre Dardenne (Fr-Belg, 1h35) avec Jérémie Rénier, Déborah François...