I'm not there

I'm not there

I'm not there : le titre d'une chanson de Dylan, mais aussi le premier rébus d'un film à clé particulièrement bien verrouillé... I'm not her, I'm not he, I'm other : ici, Dylan n'est ni un homme, ni une femme, les deux peut-être, un autre sûrement, jamais appelé par son nom, démultiplié en une myriade de personnages et d'acteurs différents incarnant ses «nombreuses vies».

Todd Haynes prend soin de maquiller ces vies-là, en bousculant les formats et les genres : noir et blanc chic ou crado, couleurs chatoyantes ou volontairement ternes, western hors du temps, road movie, drame intimiste... Le tout mélangé selon un sens du montage musical et jamais chronologique. Dans son précédent film, Loin du paradis, Todd Haynes se nourrissait aussi au sein d'une référence esthétique, en l'occurrence les mélodrames de Douglas Sirk. Mais il n'en oubliait pas pour autant de raconter une histoire forte avec des personnages qui vivaient leur vie au-delà de ce mimétisme cinématographique. Dans I'm not there, il ne reste plus que le corpus référentiel, la collection d'images sonores copiées puis extrapolées ; un matériau tellement complexe et fétichiste qu'il laisse largement le spectateur profane sur le carreau.

Car à propos de l'énigme Dylan, le cinéaste ne veut proférer aucune vérité, pas même des hypothèses, et c'est en petit chimiste de l'image qu'il expérimente autour de son sujet, effaçant méticuleusement toute possibilité d'en comprendre le sens. Plus proche de l'art contemporain que du cinéma narratif, I'm not there montre ses limites flagrantes quand il se rapproche du biopic musical classique. Toute la partie Cate Blanchett rappelle les délires défoncés d'Oliver Stone dans Les Doors, et le passage avec Charlotte Gainsbourg et Heath Ledger fait revenir à la surface les fragments chichiteux de la romance égocentrique du The Wall d'Alan Parker. C'est dire que ce film fier de sa modernité, prêt à être disséqué par des dylaniens hardcore et des critiques légitimés dans leur rôle, paraît par moments curieusement vieillot. Alors que Control d'Anton Corbijn, très grand film sur une autre icône rock, n'était à aucun moment !

Christophe Chabert

I'm not there
de Todd Haynes (Fr-ÉU, 2h15) avec Cate Blanchett, Heath Ledger, Christian Bale, Richard Gere...

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