Expo / Les très beaux visages féminins photographiés par David Rosenfeld s'offrent et se dérobent à la fois au regard comme autant d'énigmes, de caresses lumineuses ou de tentatives impossibles d'accession à la grâce...Jean-Emmanuel Denave
«Le visage est présent dans son refus d'être contenu. Dans ce sens il ne saurait être compris, c'est-à-dire englobé. Ni vu ni touché – car dans la sensation visuelle ou tactile, l'identité du moi enveloppe l'altérité de l'objet qui précisément devient contenu», écrit Emmanuel Lévinas dans ‘Totalité et infini'. Cette altérité radicale de l'autre, cet infini contenu dans le visage d'autrui qui ne saurait être englobé ni identifié... Telle est peut-être la quête paradoxale de David Rosenfeld dont le «projet photographique fait le vœu de l'infini». Quête paradoxale, tant habituellement la photographie, et le portrait tout particulièrement, fixe généralement une identité, une psychologie, un état d'âme, un instant fini et figé, contenu et encadré. Mais David Rosenfeld (né en 1960 et formé à l'École de la Photographie d'Arles en 1982) résiste aux puissances trompeuses ou dominantes de l'image, et travaille à rebours des modes et des usages. Il crée presque comme un peintre, faisant poser un modèle féminin des heures durant et ne conservant que quelques clichés parmi des milliers accumulés. Il cherche ainsi, inlassablement, cette évasion du visage, son glissement hors de lui-même, son abandon... «Si le regard du modèle se pose sur moi (une photographie trop directe), s'il n'a plus la gravitation qu'il me promettait (l'errance du regard), alors je ne trouve plus le chemin de la grâce. Il faut que le regard du modèle s'égare pour que je m'égare à mon tour, devant l'image».
L'absente de tous bouquetsRéalisées entre 1999 et 2009, les images de Rosenfeld montrent concrètement des visages féminins de face ou de profil, à l'endroit ou renversés, dans des «poses» toujours rétives aux canons habituels de la beauté... Ces visages semblent s'absenter à eux-mêmes et, enveloppés de lumières douces et blanches, suivre une ligne de fuite que l'on ne fait qu'effleurer nous-mêmes du regard. Parfois, il semble même que la mort ou l'effacement travaillent en sourdine, ou bien qu'une folie taciturne menace d'emporter définitivement ces jeunes femmes très loin de nous... Des jeunes femmes que l'on a envie de qualifier de mallarméennes tant la présence de l'écume (de l'absence, du vide ?), les «blancs sanglots glissant sur l'azur des corolles», l'incarnat léger, la «ligne d'azur mince et pâle», ou ce vers encore : «Tel qu'en Lui-même enfin l'éternité le change», riment avec les photographies de Rosenfeld... Actuellement, l'artiste travaille sur une nouvelle série intitulée «Études» : des portraits Polaroïds qui tendent vers une mince ligne abstraite des corps et des visages. En 2009, Rosenfeld n'en a conservé que deux, mais l'année n'est pas encore terminée...
David Rosenfeld (1999-2009)À la galerie Domi Nostrae jusqu'au 15 décembre.