De Sophie Letourneur (France, 1h32) avec Sarah Jane Sauvegrain, Eulalie Juster, Mahault Mollaret...
On débarque dans La Vie au ranch comme dans une soirée aux airs de déjà vécu : un appartement, de la musique, des gens, partout, qui boivent, clopent, parlent. Dès le premier plan la caméra s'attarde sur un groupe de copines dont émergeront Pam, Lola et Manon, trois amies parisiennes d'une vingtaine d'années préférant glander et parler mecs plutôt que penser à leurs études. Ici pas d'exposition ni de récit balisé, le jeu semble improvisé, la narration a priori absente, les scènes s'enchaînant par blocs, comme les soirées, toujours arrosées. Pour son premier long après Manue Bolonaise et Roc & Canyon, Sophie Letourneur continue de filmer le quotidien pour y travailler par touches le motif de la transition. Si on voulait délimiter son sujet, on pourrait dire qu'il est celui de la post-adolescence : état de grâce et à la fois d'incertitude où l'on jouit sans saisir les nécessités du lendemain et le poids de la réalité. Il est surtout un film sur le groupe, brillamment mis en scène, par inflexions de dialogues en apparence anodins et une subtile mise en espace de la parole rythmant l'action : circulant d'abord en circuit fermé, dans des appartements exigus fixant les liens entre les personnages, elle éclate dans une seconde partie, à la campagne, où le silence fait splitter la bande. Devant La Vie au ranch, on pense inévitablement à Rozier et Du côté d'Orouët. Mais Letourneur est ailleurs, elle signe un film personnel, maîtrisé, drôle et sensible sur la solitude et l'être ensemble.
Jérôme Dittmar