Cinéma / Les Reflets du cinéma ibérique et latino-américain du Zola s'offrent un grand cru 2011 : normal, cela faisait longtemps que les cinémas espagnol et sud-américain n'avaient affiché une si belle et grande diversité. Passage en revue obligatoire !Christophe Chabert
On l'avait dit en revenant de Cannes : dans un festival en retrait, le cinéma latino-américain avait plus que tiré son épingle du jeu, toutes sélections confondues. À Venise, il avait confirmé sa bonne santé grâce notamment à "Santiago 73", "Post mortem" du Chilien Pablo Larrain, film bien glaçant quoiqu'un chouille aut(eur)iste, à redécouvrir aux Reflets ; et c'est un film espagnol, "Balada triste de trompeta" signé Alex De La Iglesia, qui avait fait figure de grand gagnant au palmarès avec deux prix majeurs (lire encadré). Les Reflets du cinéma ibérique et latino-américain n'avaient donc que l'embarras du choix pour concocter une édition 2011 grand luxe, comme ils n'en avaient pas proposé depuis quelques années, il faut le reconnaître. Difficile de faire un tour exhaustif de tout ce qu'il ne faudra pas rater pendant cette quinzaine ; esquissons donc les grandes lignes et les films majeurs de cette sélection.
Cry for me, Argentina
Il y en a sûrement qui, malgré nos conseils répétés depuis sa présentation cannoise, n'ont toujours pas vu l'extraordinaire "Carancho" de l'Argentin Pablo Trapero. Plus d'excuse : vous allez tous vous rendre au Zola pour rattraper ce grave manquement à votre déontologie de spectateur, et vous prendre en pleine poire ce polar noir de noir à la mise en scène immersive emportée par deux acteurs en état de grâce : Martina Gusman en infirmière shootée à l'adrénaline pour tenir ses gardes interminables, et Ricardo Darin en charogne se jetant sur les accidentés de la route pour monter des escroqueries aux assurances. Un film énorme ! Deux autres films argentins sont à guetter de près : "L'Homme d'à côté", coréalisé par Gastón Duprat et Mariano Cohn, comédie sociale qui traite elle aussi à sa manière de la réalité argentine contemporaine. Le film est déjà bardé de récompenses glanées au gré de ses présentations à travers le monde et dans son pays. Quant à "L'Œil invisible", il marque le retour de Diego Lerman, qui fut (avec Trapero d'ailleurs) l'initiateur de la Nouvelle Vague argentine dans les années 2000 avec "Tan de repente". Son film suivant, "Mientras tanto", avait déçu, mais les échos autour de son dernier-né sont plus qu'enthousiastes.
Cannibales mexicains
Ces derniers temps, les vampires ont pratiqué une OPA sur la métaphore cinématographique à base de créatures fantastiques. Mais avec "Ne nous jugez pas", premier film d'un jeune cinéaste mexicain tout juste diplômé de son université de cinéma, Jorge Michel Grau, le cannibale se replace en bonne position. Si le réalisateur connaît ses classiques ("Massacre à la tronçonneuse" ou "Le Sous-sol de la peur", auquel on pense beaucoup), son portrait d'une famille d'anthropophages dans les quartiers mal famés de Mexico n'a pas qu'une visée horrifique — les scènes gore sont d'ailleurs marquées par un esprit proche du slapstick ; on a le droit de rire pendant, donc. Il s'agit plutôt de montrer comment les classes sociales mexicaines s'entredévorent, mais toujours dans le même sens. Ici, les pauvres ne bouffent pas du bourgeois, mais d'encore plus pauvres et paumés qu'eux. Glagla, mais ça fait du bien ! Le festival s'ouvrira sur un autre événement venu du Mexique et il s'appelle, c'est de saison, "Revolución" : un film à sketchs réalisé par la dream team de la nouvelle génération mexicaine (Reygadas, Escalante, Plá, Garcia Bernal...) pour le centenaire de la révolution mexicaine. Parmi eux, Diego Luna, dont le festival reprogramme le premier long-métrage, l'attachant "Abel". Il aurait aussi fallu parler de l'alléchante brochette de films colombiens (six !) qui jettent un éclairage sur une cinématographie plutôt méconnue ; ou signaler un film espagnol énigmatique, "La Vida empieza hoy", comédie sur la sexualité d'un groupe de séniors. Mais on préfèrera conclure en soulignant l'inratable hommage rendu à Luis Garcia Berlanga, décédé l'an dernier, rare cinéaste espagnol ayant réussi à maintenir durant le franquisme une liberté de ton dans des films qui sont aujourd'hui des classiques absolus. Parmi eux, "El Verdugo", qui sera projeté aux Reflets, crée un pont entre la comédie italienne (via Nino Manfredi dans le premier rôle) et le cinéma populaire espagnol, quelque part entre Buñuel et Dino Risi. Avec cet hommage, les Reflets regardent dans le rétro, et c'est tout à leur honneur !