En ouverture de la rétrospective Kubrick à l'Institut Lumière, un événement inratable : la version longue de "Shining", inédite en France sur grand écran, avec une demi-heure supplémentaire où l'on trouve de nouvelles clés pour appréhender ce monument.Christophe Chabert
Ce fut longtemps un secret que même les cinéphiles ignoraient : il y avait deux versions de "Shining". Celle que l'on a vue en Europe, d'une durée de 115 minutes ; et celle qui a toujours été exploitée aux États-Unis, plus longue de trente minutes. Plusieurs explications ont été données quant à cette différence : Kubrick, déçu par les premiers résultats du film, aurait choisi d'en couper une demi-heure pour le reste du monde, espérant sauver sa carrière commerciale. Plus noble, il aurait affirmé que les Européens n'avaient pas besoin qu'on leur tienne la main et aurait supprimé tout ce qui explicitait trop ouvertement le passé des personnages.
Cinéma vs télévision
La comparaison entre les deux versions ne permet pas de trancher le débat, tant les coupes peuvent se justifier tantôt par un souci d'efficacité, tantôt par une volonté d'opacifier le récit. Ainsi de la séquence où un médecin interroge Wendy (Shelley Duvall) pour comprendre les raisons du malaise de son fils Danny. On n'y apprend rien qu'on ne devinait déjà dans la version courte, et la scène paraît un peu longue. Kubrick a ainsi beaucoup sabré dans le premier acte du film : le dialogue entre Jack Torrance (Nicholson) et le propriétaire de l'hôtel est réduit à l'essentiel dans le montage européen et la visite de l'Overlook est nettement moins détaillée (tant pis pour les travellings hallucinants de Kubrick !).
Le rythme de la version américaine est donc beaucoup plus lent, éloignant définitivement "Shining" de l'ordinaire du film horrifique. Mais la deuxième série de coupes pratiquées par Kubrick a sans doute laissé dans l'ombre pour les spectateurs européens une idée qui tenait au cœur du cinéaste.
Dans ces scènes, les personnages, Torrance excepté, passent leur temps devant la télé à regarder de mauvais soaps et des cartoons. Rappelons que dans "Shining", Torrance est un écrivain en panne d'inspiration ; la folie qui l'envahit et qui le conduit à vouloir assassiner femme et enfant n'est-elle pas alors une manière de supprimer ses téléspectateurs qui n'ont d'imaginaire que celui imposé par les programmes du petit écran ? Et les visions folles qui envahissent les chambres et les couloirs de l'hôtel Overlook ne sont-elles pas les images monstrueuses que la télévision rejette ? La subversion du cinéma contre la normativité de la télévision : voilà peut-être le vrai propos de Kubrick dans cette version longue de "Shining".
Shining (version longue)
À l'Institut Lumière, mercredi 13 avril à 20h
(présenté par Fabrice Calzettoni), samedi 16 à 20h45 et samedi 23 à 20h30.