Théâtre / Wajdi Mouawad adapte Sophocle dans sa trilogie "Des terres" sans grands risques artistiques, hormis celui d'avoir confié à Bertrand Cantat la mise en musique rock des chœurs. Une idée discutable.Jean-Emmanuel Denave
Dramaturge boulimique remettant dans ses propres textes la tragédie au goût du jour, Wajdi Mouawad s'est lancé dans un projet ambitieux d'adaptation des sept pièces de son idole, Sophocle. Une première "fournée" est présentée aux Célestins qu'il est possible de voir d'affilée (6h30 au total) ou non : Les Trachiniennes, Antigone et Electre. Soit successivement les démêlés de trois femmes aux prises avec l'amour et la mort, le désir et la justice, la vengeance et le chaos. L'une des innovations les plus marquantes de Mouawad, et qui a fait couler beaucoup d'encre, est d'avoir confié la mise en musique et en chants du chœur à Bertrand Cantat (qu'il interprète avec trois autres musiciens sur scène, mais la distribution change cette semaine). Cette idée d'un coryphée rock est sympathique, donne leur rythme aux pièces, et l'on assiste à des passages assez saisissants, comme celui où Antigone "pète les plombs", danse et rugit sur un morceau très rock et noir-désien. Il y a d'autres séquences fortes, d'autres beaucoup plus discutables musicalement et certaines totalement ridicules, dans Les Trachniennes par exemple où Cantat chante a capella du Sophocle comme un cochon qu'on égorge, sans que l'on ne comprenne goutte à ce qu'il dit.
Les corps et les mots
La plupart du temps d'ailleurs, le texte des choeurs chanté d'une voix déchirée n'est guère compréhensible. Ce problème (de taille) mis à part, les trois mises en scène de Mouawad sont, contrairement à ses habitudes, assez sobres, resserrées et statiques. Un mobilier minimaliste, des déplacements lents, des comédiens souvent immobiles et placés frontalement vers le quatrième mur, de belles lumières donnant le la de l'ambiance : des lumières boisées des Trachiniennes à celles noires et lugubres d'Electre, en passant par les rouges et ors d'Antigone. Les comédiens sont confrontés à des matériaux élémentaires : eau et pluie, terre et boue, sang... Et tous s'avèrent assez convaincants, sans surdose d'hystérie, Sylvie Drapeau en Déjanire étant sans nul doute la plus impressionnante avec son jeu tout en violence et en force contenues. Mouawad parvient par moments dans sa trilogie à mélanger joliment sensualité et hiératisme, affleurement pulsionnel et jubilation textuelle. Des moments qui sauvent l'inventivité faiblarde et la répétition des procédés de la mise en scène, ainsi que les errements du chœur.