Quoi qu'il fasse, Joël Pommerat le réussit avec une virtuosité inouïe. Dans son spectacle le plus dépouillé et peut-être le moins complexe techniquement, il livre à nouveau une cinglante fable sur le monde moderne. "La Grande et fabuleuse histoire du commerce" est un chef-d'œuvre de plus dans sa singulière carrière. Nadja Pobel
Ainsi donc, ils se retrouvent en fin de journée, dans un basique hôtel de province après une journée de travail. Quatre hommes, représentants de commerce, accueillent un petit nouveau dans leur équipe. Comme dans le préambule d'Un conte de Noël d'Arnaud Desplechin, les personnages nous sont sommairement présentés : «voilà c'est Franck, le fils de ma sœur, lui, c'est René le plus intelligent...». Et comme chez le cinéaste, Pommerat va ensuite observer ce qui grince dans la vie de ses personnages simples qu'il ne regarde jamais de haut. Ils doivent vendre, vendent et vendront.
Sous le sceau de cette sainte-trinité moderne, ils ne sont plus que des machines oubliant pourquoi ils s'exécutent, trouvant même qu'en vendant à leurs clients des choses dont ils n'ont nul besoin, ils leur font une faveur ! Quand l'un d'eux est pris d'un accès de conscience, il est insulté : «communiste !» lui crient ses collègues, vieux loups rodés aux combines du métier. Puis la pièce, jusque-là baignée dans les années 60 (où Mai 68 se résume à une baisse des ventes !), bascule à mi-parcours dans la décennie 2000, mais les techniques de vente sont les mêmes, le jeune chétif est juste devenu un arrogant col blanc aux dents longues dégoulinant de dédain envers les quatre anciens.
«Sans le commerce, y'a pas de vie»
Cela fait des années que Joël Pommerat, quand il ne monte pas des contes sublimes et cruels (récemment, son Cendrillon a laissé la salle en larmes), détricote les arcanes du milieu du travail avec un sens politique bien plus aigu que celui de nombres de spécialistes.
Pourtant, il n'écrit pas de manifestes mais bien des récits, au plateau avec ses comédiens en jeu, et conte les petites et grandes misères de la vie personnelle et professionnelle de vendeurs à domicile. Ce texte-là a été rédigé à partir d'extraits de thèse et de témoignages de VRP du Nord Pas-de-Calais après une commande de la Comédie de Béthune où la pièce fut créée en décembre dernier.
De cette matière brute, il fait une fiction très personnelle et un polar (on se gardera bien de vous révéler l'objet de la vente !) avec ses éternels procédés (fondus au noir du scénographe Éric Soyer et micros HF annihilant toute théâtralité). Il raconte avec simplicité et acidité qu'aujourd'hui comme hier, rien ne ressemble plus à un VRP qu'un VRP. Et - ô bonheur ! - rien ne ressemble plus à un spectacle de Joël Pommerat qu'un spectacle de Joël Pommerat.
La Grande et fabuleuse histoire du commerce
Au TNP du 20 novembre au 1er décembre