Ceci n'est pas un opéra. "Ô Carmen" est le solo cartoonesque d'un acteur fou, Olivier Martin-Salvan, qui endosse tous les rôles d'un spectacle lyrique.Nadja Pobel
On vient de le laisser sur la scène du TNP dans les vêtements d'un Pantagruel plus vrai que nature. Le revoici au Théâtre de la Croix-Rousse dans un nouvel exercice de haut vol : l'interprétation à lui seul de tous les rôles de Carmen. Autant dire que le comédien Olivier Martin-Salvan est unique. Avec son corps et sa voix élastiques, il peut tout jouer à une vitesse folle : faire les questions et les réponses entre un chef d'orchestre et un chef de chœur, se transformer en soprano et redevenir un metteur en scène au timbre posé en une fraction de seconde, le tout en salopette bleu et tee-shirt moutarde, plus Coluche que grande diva.
Comme dans Pantagruel ou Le Gros, la vache et le mainate, Martin-Salvan est une émanation presque monstrueuse du spectacle, une créature anormale lâchée dans une pièce par ailleurs simple : un opéra clownesque démontant habilement les codes de l'art lyrique par le burlesque. Pas de décor (ah si, un banc !), pas de costume, juste un pianiste, Aurélien Richard, et ce comédien exceptionnel qui joue, chante (il a reçu une formation lyrique), fait les bruitages (d'un animal qui passe, d'un claquement de porte, de la déglutition d'un verre d'eau...), jusqu'à une incroyable scène où, au volant de sa voiture, la doublure de Don José répète en allemand dans le texte ses lieds tandis que la bande FM diffuse pubs insipides et refrains r'n'b pourris, Martin-Salvan incarnant de fait la voiture, la radio et le chanteur en route pour son lieu de répétition !
Enfant de bohème
On semble loin du théâtre baroque de Benjamin Lazar, par l'entremise duquel les trois co-auteurs de Ô Camen (Anne Reulet-Simon, Nicolas Vial et donc Martin-Salvan) se sont rencontrés, en montant Le Bourgeois Gentilhomme. Pourtant, dans ce spectacle comme dans les précédents, c'est l'acteur qui prime, tandis que les gags et pitreries se doublent d'une couche de sociologie sur les ententes et faux-semblants règnant dans les coulisses des opéras. Tout n'y est en effet pas aussi feutré que ce que le public voit sur scène et Martin-Salvan, fort de son parcours, sait jusqu'à quel point il peut singer la préciosité du milieu.
Car derrière l'outrance, tout est véridique dans Ô Carmen, les répliques du spectacle ayant d'abord été entendues dans des répétitions. Pour autant, nulle opacité : l'opéra a beau être un haut-lieu de la culture, il est finalement une entreprise comme les autres, bisbilles et camaraderies incluses.
Ô Carmen
Au théâtre de la Croix-Rousse jusqu'au samedi 18 mai