Portrait / Chanteur, acteur et parfois même danseur, Olivier Martin-Salvan est avant tout un exceptionnel passeur de théâtre, capable de redonner du sens aux termes pantagruélique et ubuesque. Rencontre, à quelques jours de sa venue dans le Beaujolais, loin des ors dorés des salles de spectacles.
« Boucler la boucle. » Olivier Martin-Salvan aime bien cette expression qui, s'il n'était pas si jeune (35 ans cette année), pourrait passer pour une satisfaction de fin de carrière, du vieux sage qui se retourne sur son parcours avec une once de fierté. Mais non : cette locution, répétée par ce comédien, a plutôt à voir avec sa fidélité ; aux gens avec qui il travaille, mais surtout à lui-même. Une fidélité à l'éclectisme et plus encore à la découverte, au bousculement.
Né dans l'Yonne, il découvre le théâtre dans une kermesse d'école à Avalon, et même s'il croise plus tard des metteurs en scène aussi importants que peu enclins à la déconne (Valère Novarina, Benjamin Lazar), Martin-Salvan conserve une approche ludique des spectacles auxquels il participe. Le voilà qui part faire des stages d'été dès ses 11 ans, avec la compagnie de l'Arc-en-Ciel implantée juste à côté de Lyon, à Chasselay, au château de Machy. À cette troupe tournée vers la religion (ses créations chaque mois de juin dans le cadre de leur festival en témoignent), Olivier Martin-Salvan dit beaucoup devoir :
« il y a une vrai utopie chez eux, et surtout ils s'adressaient à moi et pas à mon statut d'enfant. Ç'a été important car j'étais un gamin en échec scolaire et ils m'ont valorisé, m'ont demandé ce que j'avais à raconter en tant que personne. »
Cette liberté-là, il ne la rendra pas. Et alors que tout le monde ne jure dans ce milieu que pas le Conservatoire de Paris (qu'il tente avec échec au second tour), il intègre le cour de Claude Mathieu où il reprend tout à zéro. Avec une gourmandise absolue.
Par les villages
L'appétit est une des caractéristiques du travail d'Olivier Martin-Salvan. Le raccourci vers sa bonhomie et son embonpoint serait presque insultant si ces dernières n'étaient pas aussi des marqueurs supplémentaires de son engagement. Il n'élude rien et joue avec son corps – atypique pour un milieu théâtral ultra consensuel et encore trop stéréotypé.
Avec Benjamin Lazar, il fait équipe trois fois et renoue, dix ans après l'avoir joué enfant, avec le rôle de Monsieur Jourdain dans Le Bourgeois Gentilhomme. Surtout, il est Pantagruel. Ce rôle lui vaut deux nominations de suite pour le Molière du meilleur comédien dans un spectacle de théâtre public (2014 et 2015). Éclairé par un projo portatif, vêtu de paillasses, semblant sortir d'une caverne, il envoûte avec sa grosse voix qui, subitement, redonne splendeur à un texte au vocabulaire qu'il n'est pas aisé – euphémisme - d'avoir en bouche ou dans les oreilles. Pour le dire sans détour : c'est un choc.
Il y a en lui une animalité qu'il ne renie pas, loin de là. L'ancien rugbyman, qui rêve de « piquer 10% des spectateurs des stades pour le théâtre », qui a arrêté sa carrière de pilier aux portes d'une sélection nationale en équipe des moins de 20 ans, dit « aimer [qu'il y ait] une dépense physique sur le plateau. Je parle un peu aux bêtes, il y a quelque chose de l'ordre du freaks dans ce que vient voir le spectateur, quelque chose de terrifiant, dans l'énergie, la violence à voir des acteurs de si près se mettre dans des états seconds. » Et de citer la Vénus hottentote, mais plus encore ce mot de Novarina qui ponctue ses phrases : « l'acteur est un animal qui parle. »
Fendre l'armure
L'écrivain et dramaturge est un autre des référents de Martin-Salvan. Quatre fois, il a été son compagnon de route dans cette langue inventée, où le sens se perd, se rattrape et s'échappe. Avec L'Acte inconnu en 2007, il foule la prestigieuse cour d'honneur du festival d'Avignon. Si jouer Novarina est un plaisir, il côtoie un milieu – le sien – dans lequel il ne se retrouve pas.
«Au bar du In [espace réservé aux professionnels du festival], je me suis dit que c'était trop dur, que c'était faux. » Le comédien aime les échanges les plus ouverts possibles, cette « beauté de l'adaptation de l'homme », qui sur son fauteuil va faire un mouvement en avant vers la scène quand il sera attrapé par une langue ou un geste. Et ces échanges passent aussi par la voix.
Dans son parcours singulier mais d'une parfaite cohérence, Martin-Salvan est aussi chanteur. Ténor. C'est cet atout qu'il met en avant en 2008 dans Ô Carmen, sous la direction de Nicolas Vial. En salopette, sans costumes d'apparat, il joue cet opéra, tous les rôles mais aussi les discussions entre musiciens et chef d'orchestre ou, plus fou encore, les pubs idiotes et le r'n'b moisi d'une bande FM qui tourne. Il a comme socle une attitude viscéralement simple et popu, sans renoncer à aucune exigence et aucune expérience.
Mais c'est bien cette curiosité sans limites qui l'amène à rejoindre Pierre Guillois, alors directeur du théâtre du peuple à Bussang, au fin fond des Vosges, où les spectateurs tapent sur l'épaule des comédiens en disant : « c'était mieux que de regarder la télé. » Là-bas, il retrouve une proximité avec ceux à qui il s'adresse. Naît un nouveau compagnonnage, accueilli à Lyon deux fois : au Théâtre de la Croix-Rousse pour Le gros, la vache et le mainate (mise en scène de Bernard Menez !) et un Bigre épatant, pièce sans texte mais avec beaucoup d'éructations, de grognements et de chansons pour figurer trois solitudes contemporaines qui tentent de se rencontrer et d'être Happy together selon le tube des Turtles, leitmotiv de ce spectacle hilarant.
La notion de collectif est constamment présente dans les paroles du comédien. Un héritage du rugby, « où dans une mêlée on sent la cheville fragile du mec en face. » Cette attention constante et cette écoute singulière l'amènent à sans cesse parler de la réception du spectateur, qui lui importe tant que dans Ubu, cette version qu'il tourne partout ailleurs que dans les théâtres depuis Avignon 2015, il l'a placé en quadrifrontal, autour de lui et de ses acolytes.
Tapis de gym, justaucorps rayé : voilà de quoi parler du pouvoir. D'abord celui d'amener le théâtre là où il n'est pas (et pas que dans les banlieues, mais aussi dans le Beaujolais ou peut-être dans les écoles de commerce et à Sciences-po où il rêve de jouer).
Ensuite, de celui qui demain sera potentiellement aux mains de l'extrême-droite. Lors de notre rencontre dans l'entre-deux-tours, Olivier Martin-Salvan ne distille pas de conseils moralisateurs ou faussement anxiogènes : il parle simplement de politique. D'entrée de jeu, quand il évoquait Avalon et son enfance, il a situé cette ville : « là où il n'y a pas de culture, les gens glissent à droite, très très à droite. » Une façon de boucler la boucle, encore. Temporairement ?
Il ne va pas cesser d'arpenter les chemins et les routes pour continuer à porter la tentative un peu vaine d'Aurélien Bory d'adapter Espæce, ou pour être un transmetteur auprès des élèves de la Comédie de Saint-Étienne, en 2018-2020. Il reviendra à Rabelais, car « il [me] manque ». Et, toujours, de s'étonner, de sa voix calme et posée, du fait que « le théâtre, c'est bien plus fort que ce qu'on croit. »
Ubu
En itinérance du 13 au 20 mai, accueilli par le Théâtre de Villefranche à la Salle Pluraliste de Lamure-sur-Azergues (sam 13), l'Espace culturel et musical de Bourg-de-Thizy (lun 15 et mar 16), l'Espace Culturel Saône-Beaujolais de Saint-Georges-de-Reneins (jeu 18, ven 19 et sam 20)