Le Musée d'Art Contemporain présente tout à la fois des œuvres de sa collection, le méconnu et "piquant" Philippe Droguet et un artiste en vogue, sculpteur des perceptions improbables, Daniel Firman.Jean-Emmanuel Denave
Le photographe japonais Hiroshi Sugimoto (né en 1948) est aujourd'hui un artiste ultra côté, archi-connu et capable des projets parfois les plus décevants... Pourtant, deux de ses anciennes séries continuent de nous fasciner : celle des vieux cinémas américains où il laissait son optique ouverte pendant la durée d'une projection, pour obtenir au final un écran blanchâtre déversant sa lumière sur une salle vide de spectateurs ; et celle de ses «paysages de mer» réalisés entre 1989 et 1997. Acquise par le Musée d'art contemporain, cette dernière est exposée dans l'une des salles consacrées aux collections de l'institution (on y trouvera aussi des œuvres signées Sophie Calle, Anish Kapoor...).
Un peu partout dans le monde, Sugimoto a photographié des horizons maritimes, le ciel et l'eau se partageant à parts égales le cadre, en laissant encore une fois son optique ouverte durant plusieurs heures. L'idée est minimaliste et simple, mais le résultat sidérant : du temps et du mouvement comme sculptés sur une surface argentique, proche du monochrome parfois, lorsque la brume s'en mêle et brouille les lignes. Il y a là quelque chose d'aussi conceptuel et technique qu'envoûtant... Envoûtement qu'évoque Sugimoto en ces termes : «À la fin du printemps 1982, je me trouvais sur un promontoire en Terre-Neuve à admirer un superbe coucher de soleil qui coïncidait avec l'ascension d'une pleine Lune dans le ciel oriental. [...] Pour la première fois depuis des années, je me sentais dépassé par une expérience extrasensorielle. J'étais à des lieues de la surface de la Terre, et j'observais la Lune suspendue au-dessus de la mer, tandis qu'un autre moi – un point minuscule – demeurait envoûté sur place».
Du piquant
Face aux images de Sugimoto, on découvre celles, de très grand format et en couleurs, de Jean-Luc Mylaine, méditant lui-aussi sur la fragilité de la vie, le temps, le mouvement, à travers ses motifs préférés : les oiseaux ! Au même étage, le MAC ouvre plusieurs de ses salles à un autre drôle d'oiseau nommé Philippe Droguet (né en 1967). Hommage au film culte d'Antonioni, son exposition Blow Up ne cesse de jouer sur le basculement de ce qui est visible dans un premier temps à ce qui se révèle au regard dans un second temps. Sur le proche et le lointain, l'avers et l'envers aussi. Sa Marine, par exemple, ressemble d'abord à une sorte de peluche ou de gentil animal empaillé, mais s'avère en réalité constituée d'un petit crâne de renard et de pointes de bois acérées. Quant à ses deux jolies baignoires aux motifs agréables, elles sont à l'intérieur tapissées de clous menaçants ! Son œuvre la plus forte est toutefois un bureau nommé Entretien (2000-2001), qui fait écho aux sinistres salles d'interrogatoire policier et, de près, se révèle organique, proche de l'univers du cinéaste David Cronenberg, avec ses vessies de bœuf recouvrant chacun des éléments.
Trompe-l'œil
Impressionnant souvent, le travail de Philippe Droguet lasse néanmoins par son systématisme, au même titre que celui, de nature différente, de Daniel Firman. L'artiste né à Bron en 1966 se définit comme sculpteur mais tente dans ses œuvres à l'échelle 1 d'insuffler du mouvement, du corps (certaines œuvres sont le résultat de performances) ou quelques paradoxes. Un éléphant défiant les lois de l'apesanteur flotte dans une salle, "accroché" par la trompe à une cimaise. Un lave-linge tourne à toute vitesse sur lui-même, s'accaparant ainsi le mouvement du tambour quant à lui immobile. Un coffre-fort écrase un congélateur (clin d'œil à une œuvre de Bertrand Lavier), représentant dans une image arrêtée une Chute libre...
Impressionnantes et efficaces, les œuvres de Daniel Firman ouvrent à la réflexion sur l'espace, le matériau, le temps, et ouvrent aussi la sculpture à son dehors ou à des effets contre nature. L'un des moments les plus réussis de l'exposition reste à nos yeux celui où l'artiste parvient finalement à nous perdre. Soit une sorte de couloir où l'on s'effraye presque d'une Caroline appuyée contre un mur, et où l'on entend de drôles de bruits de déplacements toniques. Dans un espace clos et invisible, la Cie de danse Les Gens d'Uterpan a en fait enfermé quatre danseurs s'épuisant à exécuter des protocoles chorégraphiques. Le mouvement est ici réduit au son qu'il produit et la danse, plus loin dans la sculpture Solo, à une suite de poses moulées par l'artiste. Cela en agacera sûrement certains, mais reconnaissons à Daniel Firman sa persévérance à brouiller nos perceptions, à jouer avec nos sens et leurs transpositions possibles.
Daniel Firman, Philippe Droguet et Œuvres de la collection
Jusqu'au 21 juillet au Musée d'Art Contemporain