Chloé Cruchaudet n'est jamais aussi passionnante que lorsqu'elle s'inspire de faits réels. Nous en avions fait le constat en 2008 à la parution chez Delcourt de Groenland/Manhattan, roman graphique d'une austère élégance dans lequel cette jeune Lyonnaise au visage de sirène retraçait, à la fin du XIXe siècle, l'incroyable déracinement forcé de Minik, un esquimau ramené dans la soute de son navire par l'explorateur américain Robert Peary pour minimiser l'échec d'une expédition polaire.
Rebelote avec Mauvais genre, toujours chez Delcourt, ou l'histoire toute aussi véridique et non moins singulière de Paul Grappe, déserteur de la Grande Guerre qui, pour échapper au peloton d'exécution et avec la complicité de son épouse, se travestit sous le nom de Suzanne et dupa son monde avec une telle aisance qu'il finit par se découvrir, du côté du bois de Boulogne, de nouvelles attirances sexuelles. Au-delà de la puissance burlesque et tragique de son matériau, consigné à l'origine par les historiens Fabrice Virgili et Danièle Voldman dans l'essai La Garçonne et l'assassin et littéralement trop beau pour être vrai (les anecdotes les plus étonnantes ont été écartées, tant elles paraissent fictives), et de la justesse avec laquelle Cruchaudet la canalise, l'album impressionne par la douceur charbonneuse de sa mise en images. La promesse de belles dédicaces pour ceux qui daigneront passer leur samedi après-midi à la librairie La BD.
Benjamin Mialot
Chloé Cruchaudet
A la librairie La BD, samedi 19 octobre