Imaginez un théâtre sans acteur et sans scène, qui ferait de chaque spectateur l'élément d'une production plus interrogative que narrative. C'est l'idée farfelue du catalan Roger Bernat, qui dans "Pendiente de voto" confie à son public une télécommande pour répondre à une série de questions sur la démocratie, l'individu ou la communauté. Jubilatoire et troublant. Nadja Pobel
Comme souvent au théâtre, le siège sur lequel le spectateur va "voir" Pendiente de voto (vote en suspens) est numéroté. Ici, ce n'est toutefois pas le ticket qui indique ce chiffre, c'est à vous de le choisir. Anodin ? Pas tant que cela, car toute la suite du spectacle dépendra de votre place. Du moins tentera-t-on de vous le faire croire. Car Pendiente de voto est une suite de questions projetées au mur auxquelles il faut répondre par oui ou non via une télécommande, et ce qui semble être un jeu s'avère rapidement plus retors. «Te sens-tu capable de prendre une décision et de la mettre en pratique ce soir ?», «si ton vote ne compte pas, continue à voter, le système t'écoute», lit-on ainsi, comme si Big Brother nous soufflait dans le dos. Devons-nous laisser entrer ceux qui sont arrivés en retard et attendent derrière la porte, «les ETRANGERS» ? Ceux-ci n'auront – temporairement ou pas - de toute façon pas le droit de vote. Et «au cas où la salle serait pleine, doit-on laisser entrer d'autres étrangers ?». En somme, la masse doit-elle décider pour quelques individus laisséssur le bas-côté ? Où se situent la marge et la voie principale ? La majorité a-telle toujours raison ?
La Sofres c'est vous
Si les questions paraissent théoriques, elles créent un cheminement pertinent et toujours en rapport avec la salle, amenée à être mélangée (on y perd son acolyte de la soirée). Nul saupoudrage faussement intellectuel, la question de l'héritage de la richesse est posée avec acuité. Un service d'ordre, une présidence, un tribunal, un artiste (!) sont élus, de nouveaux duos ou groupes se constituent, une micro-société fictive émerge. Puis il ne s'agit plus de voter individuellement mais à deux, donc de se mettre en accord, de se confronter au compromis ou de le refuser et, au passage, de perdre son libre arbitre.
Roger Bernat et sa compagnie FFF font mine de nous offrir un espace de liberté tout en nous utilisant à des fins commerciales - il vend son spectacle partout dans le monde en nous faisant travailler non seulement sans nous rémunérer, mais en nous demandant en plus de payer un prix d'entrée - montrant ainsi habilement, comme il le reconnait volontiers, que «la démocratie nous utilise plus que nous ne l'utilisons». Créé à l'amorce du mouvement des Indignados en Espagne, ce spectacle, qui n'en est pourtant pas une émanation, épouse les questionnements de cette jeunesse ibérique qui se révoltait contre un pouvoir qu'elle avait contribué à élire démocratiquement. Que veut-on ? Sommes-nous prêts à l'assumer ? À vous de répondre aux très bonnes questions posées par Pendiente de voto.
Pendiente de voto
A l'Amphi Opéra, lundi 28 octobre à 19h et mardi 29 à 17h et 21h