La metteur en scène Sylvie Mongin-Algan et la comédienne Anne de Boissy unissent leurs forces pour donner tout son relief à "Une chambre à soi", conférence de Virginia Woolf sur la condition de la femme de lettres. Un délicat spectacle qui ne vire jamais au manifeste. Nadja Pobel
Née dans une famille recomposée de la haute société intellectuelle londonienne dans la deuxième moitié du XIXe siècle, Virginia Woolf n'était a priori pas la femme la moins bien lotie pour écrire. Pour autant, elle n'aura de cesse de s'interroger sur les inégalités entre hommes et femmes de lettres. Quand Rousseau et d'autres ont livré leurs états d'âme et tourments dans des confessions, lettres très prisées, «ils ont pu montrer à quel point écrire une œuvre géniale était d'une prodigieuse difficulté» constate Virginia Woolf. Et c'est bien pour cela qu'elle met en évidence, comme on ferait une découverte archéologique, sans juger ou opposer deux camps, les différences de traitements entre les deux sexes. Dans une (vraie) conférence donnée à l'université (fictive) d'Oxbridge, elle rappelle que les étudiantes ne pouvaient aller à la bibliothèque qu'accompagnée d'un professeur, qu'elles ne pouvaient s'arrêter sur le gazon mais seulement fouler les allées de gravier. A ces difficultés matérielles s'ajoutaient celles, plus graves encore, immatérielles : «mais pourquoi diable écrivez-vous ?» leur demandait-on, les poussant au découragement et au renoncement.
Fenêtre sur cour
Sur scène cela aurait pu n'être qu'une lecture. Mais Sylvie Mongin-Algan, assistée de la scénographe Carmen Mariscal a inventé une cage, semblant de parc pour bébé grande dimension dans lequel Anne de Boissy parait toute petite et symbolise ingénieusement la femme infantilisée. Attrapant de-ci de-là, à travers les barreaux, des ouvrages souvent décevants car ne mentionnant pas le sexe dit faible, Virginia Woolf s'extrait de sa condition en même temps que de sa prison et construit sous nos yeux ce qui manque à chaque femme pour s'épanouir : une chambre à soi, un espace personnel, à l'abri de l'entourage.
Anne de Boissy est loin d'être la comédienne d'un seul rôle. Ainsi de celui, marquant, de la mère biologique de Charles Juliet (couronné la semaine dernière du Goncourt de la poésie pour l'ensemble de son œuvre) qu'elle tenait dans Lambeaux. Néanmoins, il y a une évidente filiation entre ces deux monologues créés au NTH8 (ou presque) qu'elle porte magistralement sur ses épaules. Dans les deux cas, des femmes se battent pour avoir le droit de penser par elles-mêmes et gagner un peu de libre-arbitre. Elles le font au péril de leur vie mais jamais en vain, Anne de Boissy et ce théâtre du 8e restituant leurs paroles avec intelligence et émotion, dans un respect qui ne confine jamais à la déférence.
Une chambre à soi
Au NTH8, jusqu'au mercredi 18 décembre