Par trois fois, Orson Welles s'est attaqué à l'œuvre shakespearienne : une adaptation rugueuse de Macbeth tournée dans des terrains vagues écossais et handicapée par la maigreur de sa production ; un étonnant mashup permettant de faire émerger la figure secondaire de Falstaff en la ramenant au premier plan — Falstaff, donc, d'un souffle et d'une folie visuelle assez grandioses ; au milieu, cet Othello — cette semaine au Comœdia — couronné en 1952 d'une Palme d'or cannoise qui se tient justement en équilibre entre l'ascétique Macbeth et le baroque Falstaff. Welles s'y donne le rôle du Maure de Venise, et il y est littéralement monstrueux — ce qui fait oublier instantanément qu'il a dû en passer par le cirage et les bigoudis pour foncer son teint et crêper ses cheveux.
Compressant le récit de Shakespeare en le recentrant sur le triangle fait d'amour, de vengeance, de manipulations et de jalousie entre Othello, le traître Iago et la trop belle Desdémone, Welles arrive à conserver l'ampleur shakespearienne sans sombrer dans la théâtralité. Cela se fait grâce à un travail aussi rigoureux que somptueux sur les décors — qui ne trahissent jamais le cauchemar d'un tournage étalé sur plusieurs années et plusieurs pays — que ce soient les extérieurs marocains censés figurer Venise ou les intérieurs, trésors de production value transcendés par le choix des focales et les mouvements d'appareil.
Au même moment, Laurence Olivier se lançait lui aussi dans une série d'adaptations shakespeariennes ; là où Welles essuyait les échecs, Olivier allait remettre le barde à la mode à Hollywood. Pourtant, c'est clairement l'approche du grand / gros Orson qui a le mieux résisté au passage du temps !
Christophe Chabert
Othello
De et avec Orson Welles (1953, ÉU-It-Maroc, 1h33) avec Suzanne Cloutier, Micheál MacLiammóir...