Trente-trois rôles annoncés. Trois comédiens. Le metteur en scène Thomas Poulard, qui n'a pas les clés de la Comédie française où La Visite de la vieille dame fut joué très récemment, n'a pas attendu d'avoir un gros casting pour s'attaquer à ce texte de son auteur fétiche, le Suisse Friedrich Dürrenmatt.
Il déjoue d'emblée cette difficulté du nombre en faisant défiler un générique en fond de scène énumérant tous les protagonistes. Soit Claire Zahanassian, ses maris et une flopée d'habitants de Güllen, petite ville où cette sale gosse devenue richissime passa son enfance avant de fuir, enceinte et abandonnée par le jeune Afred Ill, devenu l'épicier très apprécié de cette bourgade. La ville dépérit, paralysée par le chômage (causé par la vieille elle-même) et voilà qu'elle propose un milliard (réparti entre la ville et chacun des citoyens) à condition qu'elle puisse acheter sa justice, en l'occurrence faire tuer l'épicier.
Alambiqué, cynique, noir et jubilatoire, ce texte est pour Poulard (qui avait déjà travaillé sur Les Physiciens, autre pièce maîtresse de Dürrenmatt) une manière de faire théâtre de tout, comme le disait Vitez. Avec deux ou trois codes vestimentaires (des chaussures jaunes symboles de la prospérité retrouvée de la population et donc de la condamnation à venir, des bretelles, un bandeau de fourrure...) et surtout des comédiens d'une folle dextérité et investis à 200%, il parvient, après un démarrage un peu poussif - le temps que le dispositif soit assimilé - à installer le propos grâce à rythme qui ne faiblit jamais, filant vers une issue sans suspense mais qui n'en demeure pas moins glaçante.
Nadja Pobel
La Visite de la vieille dame
Au Théâtre de l'Elysée, jusqu'au vendredi 2 mai