Les théâtres (grands) lyonnais se prendraient-ils pour les membres d'un gouvernement socialiste ? On peut se poser la question, tant ça valse cette saison, avec des arrivées et départs en pagaille. Récapitulatif. Nadja Pobel
Arrivederci et grazie mille ! À la tête du Centre National Dramatique jeune public qu'il avait baptisé Théâtre Nouvelle Génération voilà neuf ans, Nino d'Introna aura rempli trois joyeux mandats. En 2015, il retournera en compagnie, non sans avoir organisé une sorte de jubilé en proposant la reprise de trois de ses spectacles : Les Derniers géants, Yaël Tautavel et le petit dernier, Quand on parle du loup. Près d'une trentaine de candidats de sont manifestés pour lui succéder : Laurance Henry de la compagnie AK Entrepot, actuellement installée en Bretagne ; Florence Lavaud, couronnée en 2006 par un Molière et installée avec son Chantier Théâtre en Dordogne ; ou encore Olivier Letellier et son théâtre du Phare, lui aussi molièrisé pour son bouleversant Oh Boy !. Le quatrième à passer le grand oral devant les tutelles mi-septembre sera nul autre que... Joris Mathieu, avec sa compagnie Haut et court !
À l'orée 2014, Mathieu a pourtant été nommé à la tête du théâtre des Ateliers, au terme d'un long feuilleton tragi-comique, succession de passe d'armes entre les financeurs publics (Ville de Lyon, DRAC, Région) et Gilles Chavassieux, fondateur du lieu en 1975, entêté à ne pas lâcher son siège. Qu'à cela ne tienne, Joris Mathieu a d'ores et déjà annoncé vouloir mener les deux projets de front en cas de succès. Pour l'heure, c'est bien aux Ateliers qu'il fait sa rentrée avec l'annonce d'une saison composée à 80% de créations. Lui-même, en revanche, n'en proposera pas, préfèrant s'engager dans la co-production d'un spectacle de l'artiste visuel belge Miet Warlop (Dragging the Bone en mars). Placé au cœur de la Presqu'île, le lieu devrait par ailleurs multiplier les partenariats avec les salles (Célestins, Maison de la Danse, Croix-Rousse) et et festivals (Nuits Sonores, Micro-mondes, Lumière...) alentours, tout en demeurant axé sur les écritures contemporaines, que Mathieu abordera par le versant numérique qui lui est cher. Première représentation dès octobre avec Rêves/Kafka de Philippe Vincent. Autre nouvel arrivant qui était toutefois déjà dans les murs puisqu'il était programmateur du lieu : Marc Lesage est devenu co-directeur des Célestins au printemps. Il prend le poste de Patrick Penot, à la retraite mais qui compte bien maintenir son précieux festival de théâtre international Sens Interdits.
Vitalité
Aux portes de Lyon, le Toboggan et la Renaissance entrent également dans une nouvelle ère, tout en capitalisant sur des identités déjà bien affirmées. À Décines, après une saison de transition à moitié blanche, Sandrine Mini reprend en douceur les rènes des mains de Jean-Paul Bouvet et surtitre sa programmation «mémoire et transmission». Il sera avec elle toujours beaucoup question de danse contemporaine, mais aussi de musique (avec le Birds on a Wire de Rosemary Standley et Dom la Nena, par exemple), et d'un théâtre à la fois exigeant et accessible (Le Square, Ménélas rebétiko rapsodie).
À Oullins, la Renaissance conserve son label étatique de scène conventionnée «pour le théâtre et la musique». Les tutelles ont désigné Gérard Lecointe pour succéder à Roland Auzet, reparti volontairement en compagnie après trois années à la tête de cet établissement. Un choix pertinent, le directeur et créateur des Percussions Claviers de Lyon semblant en outre particulièrement heureux d'avoir bâti (en un mois !) son projet «comme on compose une symphonie». On y trouve des concerts, des spectacles musicaux, du jeune public, mais aussi du théâtre "pur jus", avec notamment la très habile adaptation de L'Amant de Pinter par Olivier Maurin.
Stagnation
Enfin, un mot sur ceux qui n'arrivent ni ne partent. Ceux qui restent donc. Mais pour combien de temps ? Christian Schiaretti a passé, on l'a dit ailleurs, un sale été. Bien que victimes d'un tout autre contexte politique, les choix de programmation d'Anne Courel, à la tête du Théâtre Théo Argence de Saint-Priest depuis 2010, ont eux aussi été contestés, lorsqu'en mars dernier, les San priots ont choisi des édiles UMP pour succéder à l'élue socialiste Martine David. Le théâtre étant en régie directe, il revient au maire de signer les contrats et donc les valider. Or, une bonne moitié de la saison initialement prévue n'a pas été maintenue. L'adjointe à la culture Catherine Laval souhaitant «ouvrir le lieu à un plus large public», elle estime que les programmations antérieures «ne correspondaient pas suffisamment à la multiplicité des demandes et publics constitués par la population san priote», comme elle le déclarait en conseil municipal le 27 juin. Ce souhait, on ne peut plus légitime, de s'adresser à tous, s'incarne dans une saison enfin rendue publique ces jours-ci. Problème : elle apparait totalement incohérente, oscillant entre le très beau et novateur spectacle jeune public Même les chevaliers tombent dans l'oubli (en mars) et les opérettes de la compagnie Cala, la viscéralité du technophile David Gauchard (Ekaterina Ivanovna) et des Labiche à la sauce Bernard Rozet. Le politique et le culturel ont bien souvent des amours orageuses. Le Théâtre Théo Argence le démontre en ce moment à ses dépens.