Avec "Un membre permanent de la famille", formidable recueil de nouvelles, Russell Banks révèle une face cachée de son talent, simple, intense et hantée par la mort et la crise, économique et existentielle. Il en parlera lundi 12 janvier au Théâtre de la Croix-Rousse.Christophe Chabert
Il y a parfois tout à redouter d'un grand auteur américain qui décide de publier un recueil de nouvelles, tant cela sent parfois le fond de tiroir ou la commande transformée en digest de sa propre œuvre. La bonne surprise d'Un membre permanent de la famille, c'est que non seulement ces douze textes, parfois très brefs, ne dépareillent pas face aux grands romans de Russell Banks, de De beaux lendemains à American Darling, mais surtout ils offrent une vision insoupçonnée de son talent, l'inscrivant spontanément dans la lignée d'un Raymond Carver ou d'un John Fante.
Car si Banks s'est toujours intéressé aux contrastes de l'Amérique, il l'avait rarement fait avec autant de clarté qu'ici, naviguant sans cesse entre deux extrêmes : la grisaille des alentours de New York et ses valeurs libérales d'un côté, le bling bling ensoleillé et superficiel de la Floride de l'autre. Parfois, certaines nouvelles mettent en scène le voyage de l'un à l'autre, comme cette femme récemment retraitée qui, d'abord partie pour une villégiature temporaire avec son mari à Miami, décide d'y rester pour démarrer une nouvelle vie, soudain libérée par le décès de son époux ; mais la plupart du temps, c'est le passage d'un récit à l'autre qui crée l'opposition et le conflit culturel. Car de la bourgeoisie aisée et intellectuelle qui peuple la côte est aux exclus de la côte ouest, on ne sait plus trop qui est le perdant désigné de cette foire à la déprime existentielle, hantée par les spectres de la vieillesse, de la mort et de la dépression, économique ou psychologique.
Crises en série
C'est souvent le trépas d'un être aimé qui est au cœur de chaque segment d'Un membre permanent de la famille, que ce soit un chien — à deux reprises — un mari, une junkie portée disparue... Mais ce sont aussi des illusions qui meurent, le temps d'une crise de la cinquantaine ou lorsqu'une femme noire, qui a trimé toute sa vie pour se payer une voiture d'occasion, est oubliée par les employés de la concession et doit passer une nuit sur un toit de bagnole pour échapper à un Pit Bull féroce.
Les twists qui concluent chacune des nouvelles, souvent cruels et amers, ne sont pas que de virtuoses exercices de renversements narratifs ; ce sont aussi de brusques rappels à la réalité, toujours plus ambivalente et décevante qu'elle ne le laisse croire au premier abord. Banks manie ainsi avec une spectaculaire dextérité cet art qui consiste à passer de l'anodin à l'extraordinaire, du rêve dérisoire au cauchemar éveillé.
Russell Banks
Au Théâtre de la Croix-Rousse lundi 12 janvier
Un membre permanent de la famille (Actes Sud)