À cause d'une imposture littéraire devenue succès de librairies, un jeune auteur est entraîné dans une spirale criminelle ; Yann Gozlan signe une réussite inattendue du thriller hexagonal, avec un Pierre Niney excellent en héros négatif.Christophe Chabert
Les yeux cernés, le visage fiévreux, un jeune homme hurle en jetant sa voiture contre une paroi rocheuse. Flashback : trois ans auparavant, on le découvre, pas forcément mieux dans ses baskets, suant sang et eau pour accoucher d'un roman finalement refusé par tous les éditeurs parisiens et contraint de végéter dans un emploi minable de déménageur. Lors d'une de ses missions, il tombe sur les carnets d'un homme fraîchement décédé où celui-ci raconte sa vie de soldat pendant la guerre d'Algérie. Ni une, ni deux, Mathieu fauche le tapuscrit, le rentre dans son Mac et l'expédie fissa à un éditeur... qui accepte instantanément de le publier. Succès critique et public ; voici l'imposteur promu star de la littérature française.
Dans ce premier acte, Yann Gozlan, auteur de l'oubliable Captifs, enclenche le turbo pour raconter à toute vitesse cette ascension fulgurante, non sans la pimenter d'un regard incisif sur les mœurs des lettres actuelles. La manière dont Mathieu invente son personnage en s'inspirant des apparitions télé d'auteurs célèbres — Gary, Houellebecq et... Yann Moix ! exprime avec ironie cette petite mécanique médiatique où le discours de l'écrivain est aussi important que son œuvre.
Un Niney idéal
Gozlan, toutefois, n'est pas là pour faire de l'analyse sociologique, mais pour raconter un thriller, un vrai, où Mathieu, pris au piège de cette falsification, voit sa nouvelle vie dorée de bourgeois parvenu se craqueler sous le poids des dettes, des soupçons de son entourage et des menaces d'un maître chanteur — génial Marc Barbé. Revenant à des sources bien françaises — le Plein soleil de René Clément, influence revendiquée — raréfiant ses dialogues et privilégiant une mise en scène purement visuelle des scènes de suspense, où son sens du découpage et du timing fonctionne à plein, Gozlan explore les eaux bourbeuses dans lesquelles s'enfonce son héros négatif, contraint à une sanglante escalade criminelle.
S'il a encore besoin de béquilles inutiles — comme cette musique pompière et envahissante — il peut compter sur un formidable atout : Pierre Niney, qui se livre à corps perdu à son personnage, cultivant sa double facette de "gendre idéal" et de grand échalas vampiresque. Pas de doute, il méritait son César, même si ce n'était pas pour le bon film !
Un homme idéal
De Yann Gozlan (Fr, 1h37) avec Pierre Niney, Ana Girardot, André Marcon...