À vingt-neuf ans seulement, Marie-Anita Gaube est déjà l'auteur d'une œuvre picturale puissante et très personnelle. Elle présente à Lyon un ensemble de dessins et de peintures à forte teneur onirique, troublant et inquiétant notre regard.Jean-Emmanuel Denave
Dans son petit texte Les Hétérotopies, le philosophe Michel Foucault écrit : «La société adulte a organisé elle-même, et bien avant les enfants, ses propres contre-espaces, ses utopies situées, ces lieux réels hors de tous les lieux. Par exemple, il y a les jardins, les cimetières, il y a les asiles, il y a les maisons closes... » Il y a aussi les espaces imaginaires dessinés ou peints par Marie-Anita Gaube.
Espaces où le dehors et le dedans s'inversent, où toute rationalité architecturale semble abolie au profit d'une pure logique onirique, des oeuvres où, comme nous le confie l'artiste, «s'opère un basculement de la perspective, où le regard peut sauter de manière kaléidoscopique d'espace en espace, comme dans un théâtre où différentes scènes se dérouleraient sans ordre déterminé». Chacune est, comme l'indique le titre de l'exposition, une «nouvelle aire» constituée au départ d'images mentales, de souvenirs d'enfance ou d'un atlas d'images récoltées sur Internet. À partir de ces premiers éléments, Marie-Anita Gaube réalise un premier collage puis passe sur la toile qui, peu à peu, l'amènera ailleurs, prendra sa propre forme d'existence...
La jeune femme, sortie il y a trois ans de l'École des Beaux-Arts de Lyon, s'appuie aussi pour composer ses toiles autant sur les contemporains (Peter Doig, Daniel Richter), que sur les modernes (Giorgio Di Chirico) ou les anciens (Bosch, Bruegel, Pierro Della Francesca, Mantegna, Duccio...).
Point de bascule
Les hétérotopies de Marie-Anita Gaube, ces "non-lieux", sont aussi traversées d'histoires, de rencontres entre des personnages étranges (parfois fantomatiques), de fêtes mi-joyeuses mi-mélancoliques, d'événements baroques ou surréalistes... Le kaléidoscope spatial se conjoint à un délire du temps : «Ma peinture se situe dans un hors temps, avec l'idée d'un passage du temps présent à un temps qui se trouverait derrière la toile.» Au collage spatial s'agrègent des montages quasi cinématographiques, « un montage hystérique du temps» à la Eisenstein.
Parfois, dans une série de dessins, l'artiste marque cette collision temporelle par une distinction technique : le graphite pour le passé, la gouache pour le présent. Et dans ses tableaux aussi, elle crée des écarts : entre la tonalité acide des couleurs utilisées et la noirceur des scènes représentées, entre des scènes très figuratives et un motif quasi abstrait créant un trouble visuel et logique... Et chaque œuvre alors prend une tournure incertaine, ambiguë. Le point de fuite est ici un point de bascule.
Marie-Anita Gaube
À la galerie Françoise Besson jusqu'au 8 octobre à