Sept jours qui vont ébranler Rome, du Vatican au Palazzo Chigi, et révéler l'emprise des mafias sur la société italienne. L'une des plus brillantes synthèses d'une situation bien réelle, traitée comme un thriller... puisque c'est un thriller. Bravissimo !
On a coutume de dire que les séries télé contemporaines, parce qu'elles proposent de nouvelles approches narratives — liées notamment à la contrainte de l'épisode à durée fixe devant mêler plusieurs trames — constituent un genre audiovisuel à part. Pouvant, parfois, se révéler plus inventif que le cinéma. Suburra (malgré son nom aux consonances nippones, ce titre fait référence à un quartier pauvre de Rome) donne du crédit à cette assertion : son réalisateur Stefano Sollima, qui s'est illustré en participant aux déclinaisons télévisées de deux polars ayant eu beaucoup de retentissement bien qu'inégaux (Gomorra et Romanzo Criminale), revient en effet au grand écran avec ce film fleuve d'une maîtrise redoutable, à la fois complexe dans ses enjeux et d'une limpidité cristalline dans son récit.
Le principe de la vigueur hybride semble donc s'appliquer aux œuvres tournées par des (bons) réalisateurs de séries — JJ Abrams l'ayant déjà confirmé par le passé. Car Sollima réussit pleinement ce que Garrone avait à moitié accompli, Gomorra lorgnant encore vers le film-dossier, l'illustration formelle et proto-documentaire du livre-enquête de Roberto Saviano.
Ils sont filous, ces Romains
En faisant son miel d'événements politiques authentiques pour les incorporer au sein d'une "pure" fiction, Suburra franchit nettement un cap. Sollima conjugue dans un temps resserré, propice à la cristallisation du drame, des situations plus que plausibles, malheureusement banales en Italie — où les gouvernements tombent plus souvent que les parrains des mafias. Elles en gagnent un relief exceptionnel tout en asseyant cette image déjà bien ancrée dans les esprits (encore davantage depuis Il Divo de Sorrentino ou Le Caïman de Moretti) d'une nation de la combinazione, au système parlementaire rongé par la gangrène de la corruption et de la prévarication. La caste haute se retrouve manipulée par une caste basse s'engouffrant dans les moindres interstices pour la conquérir et la vassaliser. Chose aisée : une pomme pourrie suffit, en l'occurrence un député "mouillé" dans une sale affaire, pour que l'assemblée soit contrôlée par la mafia.
Quant à l'autorité morale supposée incarnée par le Saint-Siège, elle est fantomatique : le Vatican n'existe plus que par sa banque ! Révélant en sus les conflits générationnels, territoriaux et ethniques divisant une pègre grouillant de figures pittoresques, Suburra fait œuvre d'analyse sociologique du milieu. Et ce, sans jamais rompre le rythme nerveux du polar. Une excellente surprise.
Suburra
De Stefano Sollima (It, 2h15) Avec Pier Francesco Favino, Elio Germano, Claudio Amendola...