Quoiqu'un peu fouillis, le "Carmen" de Michel Laubu apparaît comme la somme de tout que ce le créateur de la Turakie a inventé en 30 ans. Où l'on voit que ses marionnettes ont du chien, et même une flamboyance nouvelle.
En une minute, la première, tout le paradoxe Turak est résumé. Un plongeur, palmes aux pieds, arrive de jardin en faisant des bulles de savon. Puis Michel Laubu ôte son masque et prend la parole pour une sorte d'exposé introductif à cette création. Autant l'image est douce et fait instantanément pénétrer dans un univers à part, autant la parole casse illico cette magie, par excès de didactisme et de calembours, par cet agaçant accent un peu slave que Laubu a inventé et qu'il attribue depuis trente ans aux habitants de ce pays imaginaire qu'est la Turakie – dont l'aventure a été contée dans un ouvrage paru récemment.
Sur le plateau, foisonnant, il semble avoir mis tout son savoir-faire, quitte à saturer l'espace, comme lors de la scène des taureaux, qui ne fonctionne guère. Ce type de séquence fragilise d'ailleurs le rythme de la pièce (dès 8 ans), qui comporte de fait quelques longueurs sur son déroulé d'1h20. Elle n'en demeure pas moins une surprenante réussite, avec ces marionnettes grandeur nature ou presque, aux traits affinés mais suffisamment irréalistes pour que le charme opère.
Mi-femme mi-sermon
C'est lorsque Michel Laubu se consacre à ses personnages principaux qu'il est le meilleur. Cachée derrière un éventail, Carmen surgit d'un kayak, le "corps" dissimulé dans sa jupe, et prend soudain toute sa stature de femme-monde, entonnant ses airs les plus connus. Vouté, «envouté, prisonnier, libéré» Don José est comme une balle de ping-pong entre les mains de la séductrice et d'une Micaëla particulièrement frondeuse, se déplaçant comme un bélier sans pour autant manquer de grâce – par ailleurs figurée par une robe de mousseline blanche très appropriée.
Dans ce ballet que Michel Laubu a voulu aquatique, des intermèdes vidéo, tournés image par image, d'un orchestre de crustacés en pâte à modeler digne de La Petite Sirène ponctuent les actes avec la complicité du guitariste Rodolphe Burger. Bienvenues, ces virgules témoignent là encore d'une imagination débordante et, surtout, d'une grande tendresse du metteur en scène vis-à-vis de cette œuvre populaire et tragique qu'il emmène à la plage au son de la voix sublime de Rosmary Standley. À l'abri de leurs parasols, les prétendants auront tous leur quart d'heure de gloire, comme en témoigne à la fin un judicieux bal des poussettes dans lesquelles sont assis... de nombreux bébés Carmen !
Une cArMen en Turakie
Aux Célestins jusqu'au jeudi 31 décembre
En cyclo-pédie à travers la Turakie (Éditions Fage), 256 p.