Assises Internationales du Roman / Pour leur 10e édition, les Assises Internationales du Roman réunissent une cinquantaine d'écrivains sous la grande verrière des Subsistances. Parmi eux, le serbe Goran Pétrovic : un écrivain rêveur et fantaisiste.
Les Assises Internationales du Roman fêtent leur dixième anniversaire et, depuis 2007 dans ces colonnes, nous suivons cet événement en soulignant à chaque édition les liens étroits entre la littérature et le réel, l'ancrage du roman dans le monde actuel. C'est la ligne fondamentale du festival et, cette année encore, les tables-rondes sur "Beyrouth, hier et aujourd'hui" (Zeina Abichared et Mathias Enard), "L'Exil" (Alice Diop, Max Lobe, Zia Haider Rahman et Samar Yazbek), ou "Écrire, est-ce résister ?" (Oya Baydar et Boualem Sansal) le confirmeront...
Mais cette fois-ci, ô imprudence, nous voudrions, pour introduire à ces 10e Assises, parler de littérature et... de rêve. Au risque des persiflages : eh voilà le retour de l'imaginaire et de sa pusillanimité, des écrivains grimés en doux et inoffensifs rêveurs, si ce n'est en cancres rêvassant au fond de la classe de la "littérature-monde" ! Pour ne rien arranger à notre position acrobatique, nous nous appuierons sur un livre étonnant, mais comportant aussi quelques défauts (un aspect répétitif notamment), l'Atlas des reflets célestes de Goran Pétrovic.
À ciel ouvert
Un livre fragile donc, mais dont l'ambition est formidablement stimulante : redessiner la géographie de notre imaginaire à travers cinquante-deux chapitres, écrits chacun sous forme d'une courte narration, de petites notes s'y rapportant, et d'un ou deux "tableaux" (des encadrés où l'auteur décrit une image ou raconte un vrai-faux fait historique).
Cinquante-deux propositions oniriques et poétiques dont les huit protagonistes principaux, et pour le moins singuliers, cohabitent dans une maison dont ils ont décidé d'ôter le toit afin d'y substituer le ciel. Un havre, un asile (et ses folies), une "hétérotopie", un espace du rêve, qui se dresse au beau milieu d'une ville et de son agitation affairée. « La fantaisie est quelque chose de bien réel, dit l'un des personnages, même si beaucoup de gens pensent qu'il n'y a rien derrière. Avec l'illusion, c'est tout le contraire qui se produit : il n'y a rien derrière ce mot mais nombreux sont ceux qui voient en lui une réalité ».
Sous l'étoile de Borges
Pour combler le grand vide métaphysique du monde contemporain, Goran Pétrovic prône la fantaisie collective, les rêves échangés, en les opposant aux illusions aliénantes. Parce qu'a contrario du statisme de l'illusion, la fantaisie et le rêve sont un travail (individuel et collectif), un processus, une création... L'ouvrage de Pétrovic est lui-même une sorte de "fantaisie collective", un rêve palimpseste écrit à partir d'une multitude d'auteurs : André Breton, Dino Buzatti, Italo Calvino, Dante... Ou encore, et surtout, Borges, figure littéraire emblématique du rêve, du miroir et du labyrinthe. Ce qu'il y a de formidable chez Pétrovic, c'est cette productivité poétique du rêve alliée à une attention à la communauté, aux potentialités intersubjectives du groupe.
« Le lecteur connaît les faits quotidiens que les journaux et la télévision lui présentent. Pétrovic invite à la découverte de l'univers sous-jacent de ces mêmes faits : les rêves et les intuitions sur lesquels ils reposent [...] Notre imagination est un instrument qui nous permet de mieux comprendre le monde, de construire des modèles de ce monde pour savoir comment nous y conduire. C'est peut-être pour cela que nous rêvons, que nous concevons l'avenir... » écrit Alberto Manguel dans la préface de l'Atlas.
La littérature-rêve serait donc ce formidable "instrument" pour réinventer nos psychés autant individuelles que collectives. Cela au fond est très concret, très réel. Et rejoint même les très sérieuses et récentes analyses du psychiatre italien Giuseppe Civitarese auquel nous empruntons le titre de son ouvrage, Le Rêve nécessaire.
Assises Internationales du Roman
Aux Subsistances jusqu'au 29 mai
Goran Pétrovic
À la Médiathèque de Brindas le vendredi 27 mai à 15h
À la Librairie Lettres à Croquer de Villeurbanne le samedi 28 mai à 11h
Aux Subsistances pour la table-ronde sur l'amitié en compagnie de Eshkol Nevo et Lyonel Trouillot le samedi 28 mai à 17h30
Biographie
1961 : naissance à Kraljevo, en Serbie. Après des études de Lettres à Belgrade, il exerce le métier de bibliothécaire
1989 : commence à publier des recueils de nouvelles et des romans qui seront traduits en plusieurs langues et l'objet de nombreux prix
2003 : première publication en France avec Soixante-neuf tiroirs aux éditions du Rocher
2006 : Le Siège de l'église Saint-Sauveur au Seuil
2010 : Sous un ciel qui s'écaille aux éditions Les Allusifs
2015 : Atlas des reflets célestes (Noir sur Blanc/Notabilia)