Longtemps, le maloya fût affaire d'hommes. Aux femmes était réservée la danse, drapées dans de belles robes colorées. Mais une jeune femme de ménage chamboula la scène naissante du maloya : Françoise Guimbert, qui écrivit sa première chanson, Tantine Zaza, en 1978... mais elle se lança en professionnelle seulement en 1990, à la mort de sa patronne à laquelle elle resta fidèle jusqu'au bout, ouvrant alors la voie à Nathalie Natiembé et à Christine Salem.
C'est dame Christine qui vient nous rendre visite au Musée des Confluences, avec un nouvel album dans le panier, Larg pa lo kor. C'est son sixième et depuis ses débuts en version groupe (Salem Tradition), celle qui était il y a peu encore, jusqu'en 2012, éducatrice sociale dans son quartier natal des Camélias à Saint-Denis la "capitale" de l'île de La Réunion, a fait un long chemin la faisant quitter les sentiers battus d'un genre musical profondément ritualisé et ancré en elle pour redistribuer les cartes avec un nouvel atout maître : elle-même. Désormais, elle ne suit plus les règles. Elle les modèle à son image.
Devenue figure incontournable, chanteuse unique dont la voix grave, profondément soul, donne un supplément de "miracle" à ses titres résolument engagés qu'elle ne porte pas seulement en créole, mais aussi dans un langage lui étant apparu en rêve dans un avion la première fois, plus tard lors d'états de transe, empruntant à l'arabe et au swahili : Christine a sa part mystique, tout autant qu'engagée. Il faut dire qu'elle est née un 20 décembre, jour de l'abolition de l'esclavage à La Réunion en 1848 (six mois après les Antilles... il fallait quand-même assurer la saison de la coupe de la canne à la fin de l'hiver austral).
Son maloya, cette musique venue des esclaves, ce blues longtemps laissé de côté et oppressé (mais jamais interdit, contrairement à ce que dit la légende), elle l'a irrigué de ses rencontres avec le guitariste Seb Martel (présent sur l'opus), avec Moriarty, avec Alex Barck de Jazzanova. Jamais avare d'expériences, elle s'en est nourrie pour imposer un style bien à elle, aussi puissant que sa voix, aussi imposant que sa prestance, telle une Nina Simone de l'océan Indien. Le roulèr va sonner du côté de la confluence ce samedi : comme autrefois les Noirs se laissaient guider dans la nuit pour rejoindre le kabar, cette cérémonie au mitan des champs de cannes et à l'abri des colons, suivez ce rythme revendicatif et filez voir ce concert qui vous marquera dans votre cœur.
Christine Salem
Au Musée des Confluences le jeudi 10 novembre à 20h30