Hip-Hop / Sortez les mixtapes des tiroirs et les baggys de la penderie : les protagonistes d'une certaine époque dorée du rap français sont de retour, pour une tournée passant par la Halle Tony Garnier.
« On parle beaucoup du rap social, mais à la base le hip-hop c'est de la joie, une communion pour sortir du coma de la routine » introduit Stomy Bugsy, du Ministère A.M.E.R. Il se souvient de Sarcelles, alors l'un des spots du mouvement, où le hall du centre commercial des Flanades grouillait de danseurs... Le hip-hop le percute au début des années 80, par le biais de son grand-frère José et d'une cassette de Sugarhill Gang : « groovy ! ». Nuttea, roi du ragga français qui collabora avec IAM, n'a lui pas le coup de cœur immédiat : c'était « un trip Funkadelic, avec les paillettes, les costumes avec épaulettes, les lunettes en forme d'étoiles... »
Le vestiaire est encore inspiré du disco et du funk, mais laissera vite place aux baggys et teddys made in USA. Le style fait partie intégrante de la mouvance, qui est une manière de vivre à part entière comme le dit la chanteuse K-Reen : « À l'époque, être dans le hip-hop, c'était être soi-même. » Stomy confirme : « C'était une façon de s'autoproclamer, de se montrer. De par ton accoutrement, tu disais quelque chose. » Le hip-hop, c'est un look, mais aussi et surtout cinq disciplines artistiques : break dance, beatbox, graffiti, DJing et bien sûr le rap.
Et si les années 90 sont aussi prolifiques, c'est parce que les années 80 ont ouvert de nouvelles vannes pour la création musicale. Duke, DJ du groupe Assassin depuis 15 ans, découvrit les possibilités offertes par les vinyles et le scratch lors d'un set du précurseur Dee Nasty en 1987.
Le seul média à diffuser du rap à grande échelle dans les années 80 n'est autre que TF1, via la culte émission H.I.P. H.O.P. de Sidney, venu de Radio 7.
Stomy (qui dansa dans l'émission, comme JoeyStarr) et Nuttea s'accordent : « C'était même la première émission de rap au monde. Les Américains hallucinaient. Ça peut paraître bizarre, mais il y avait une émission de hip-hop le dimanche à 13h sur TF1 ! C'était un tremplin fantastique. Les invités étaient DST, Afrika Bambaataa, Fat Boys... »
Cassidy et Ill des X-Men commencèrent à scander des textes pour s'amuser, au début des années 90, au sein du collectif Time Bomb (avec Oxmo Puccino). Puis à faire des scènes. Mais certaines injustices les poussèrent à prendre le rap plus au sérieux, pour « prôner le droit d'être entendu. » Ils s'inspirent alors de figures comme Malcom X, urbain et éduqué. De festif dans les 80's, le rap devient revendicatif dans les 90's.
Réhabilitation du poulet
Pour beaucoup de rappeurs, la répression policière est déjà un leitmotiv. Une réalité de leur jeunesse qui se perpétue encore aujourd'hui dans les quartiers. Stomy se souvient des agressions verbales, physiques et psychologiques. Il est pourtant conscient du rôle de la police et fustige aujourd'hui un fonctionnement plus global, lui qui avec le Ministère A.M.E.R. fit scandale en rappant Sacrifice de poulets en 1995 sur la mythique BO du film La Haine : « il faut rendre ses lettres de noblesse à la profession. Pas flics, ni poulets, ni keufs mais gardiens de la paix : c'est un mot noble. Les politiques envoient des mecs inexpérimentés dans les banlieues. La police c'est leur tampon, leur cerbère. »
La même année, les paroles d'Assassin dans Shoota Babylone lui font écho : « si tu restes statique, si tu ne t'occupes pas de politique / La politique s'occupe de toi / Si tu t'en occupes trop : gare ! / Aux chiens de garde de l'État ». Ces lyrics portent un message plus fort encore, celui de l'éducation. « On a toujours déclaré : "éduques-toi". On a participé à instruire les gens, à voir autre chose que ce qu'ils avaient envie de voir », confirme Duke.
Quand on parle de cet âge d'or du rap français, un axe Paris / Marseille s'en dégage. Quid de Lyon ? DJ Stani, co-fondateur du Peuple de l'Herbe, se rappelle de son groupe DNC, qui débuta par des freestyles en radio et fit des premières parties de IAM... Pourquoi ont-ils loupé le coche ? « Il y avait très peu de gens pour organiser, ici » dit-il. Duke, installé depuis 1996 à Lyon et ami de Stani depuis 1992, est le seul à ouvrir un studio dédié au rap à ce moment-là. Il déplore aussi le fait que « les groupes ne se sont pas donné les moyens. Ils attendaient que Sony viennent toquer à leur porte – ce qui n'arrivait jamais. »
Tous ceux qui remontent sur scène aujourd'hui pour cette tournée de "l'âge d'or" nous rappellent, avec amertume, que leurs textes sont plus parlants que jamais. Ill (X-Men) assène : « notre petit passage de vingt ans prouve que l'on n'était pas là pour mentir. » Duke enchérissant : « même si c'est effrayant et triste de re-vivre la même chose, l'être humain n'est pas fait pour vivre dans une société parfaite. »
L'Âge d'or du rap français
À la Halle Tony Garnier le mardi 14 mars