Julia Ducournau : « je parle d'abord aux corps des spectateurs avant de parler à leur tête »

Julia Ducournau : « je parle d'abord aux corps des spectateurs avant de parler à leur tête »
Grave
De Julia Ducourneau (Fr-Bel, 1h38) avec Garance Marillier, Ella Rumpf...

3 questions à... / D'ores et déjà assuré de figurer parmi les concurrents au prix du meilleur premier long-métrage l'an prochain, Grave est avant même sa sortie un phénomène international.

D'où vous vient cet attachement viscéral à la question du corps et l'organique ?
Julia Ducournau : La question de l'organique est depuis toujours au centre de ce que je fais — même dans mon premier court-métrage pourri à la Fémis ! C'est une thématique très personnelle : l'intérêt pour le corps existe depuis que je suis toute petite. Mes parents sont médecins, ça a nourri beaucoup de fantasmes chez moi et mes premières amours cinéphiles (Cronenberg, dont je parle tout le temps) traduisent bien le fait que pour moi, le corps a toujours été un sujet passionnant par sa trivialité et son aspect ontologique, humaniste. Quand je fais mes films, je parle d'abord aux corps des spectateurs avant de parler à leur tête. J'aime beaucoup l'idée de ressentir des choses avant de les analyser. Les films où je prends le plus de plaisir sont comme ça. C'est ce que j'essaye de faire en général, et ça a d'autant plus d'importance dans Grave, où la personne avec qui je lie ombilicalement le spectateur est une jeune fille qui devient cannibale. La grammaire du body horror permet de poser ces questions-là de manière vraiment organique et profonde.

Le travail sur le son, notamment par l'utilisation des basses fréquences, participe également de cette écriture sensorielle...
Il y a un travail colossal qui est fait pour que l'on éprouve une sensation physique. Même la pensée de la lumière rejoint cette dynamique : comment montrer telle ou telle chose ? Comment réussir à créer une empathie pour mon héroïne ? Toutes les scènes de cannibalisme sont traitées à la lumière de manière très réaliste. Je ne dis pas “naturaliste”, mais “réaliste” : les sources sont dans le champ. On les voit, elles sont légitimées ; on n'a pas un bleu électrique, un vert qui pète, ni un orange. Mais quelque chose qui donne une impression d'immédiateté, parfois de suffocation. Cette manière que Ruben Impens, le chef-opérateur, a de l'éclairer permet de ne pas la montrer comme un monstre, bien que ce qu'elle fasse soit absolument intolérable. À l'opposé, toutes les scènes domestiques et de comédie, plus “acceptables”, vont avoir un twist à la lumière, pas du tout réaliste ni naturaliste.

Pourquoi cette “gestation” de neuf mois à travers les festivals étrangers avant de sortir Grave en France, alors qu'il est prêt depuis la Semaine de la Critique à Cannes ?
Notre distributeur international est une filiale d'Universal. Quand on a des partenaires aussi gros qu'un tel studio, on est soumis à quelques négociations. Comme chez Wild Bunch, mon distributeur français, tout le monde voulait qu'il y ait tournée de festivals. On s'attendait à en faire moins, mais vu qu'avec Universal on s'est dit que ça serait bien d'aller à Sundance en janvier, on a été obligés de se calquer sur la sortie américaine, le 10 mars, pour plein de raisons sur lesquelles je n'ai pas beaucoup de prises. J'imagine que s'ils ont décidé qu'il fallait que je sorte maintenant, c'était une bonne idée.

à lire aussi

vous serez sans doute intéressé par...

Mardi 14 mars 2017 Parabole initiatique apprêtée en conte ogresque, la première réalisation de Julia Ducournau conjugue gore soft avec auteurisme arty. Un galop d’essai qui vaut une pinte de bon sang, même s’il finit, hélas, en eau de boudin. À réserver à celles et...
Jeudi 15 juillet 2021 Une carrosserie parfaitement lustrée et polie, un moteur qui rugit mais atteint trop vite sa vitesse de croisière pépère… En apparence du même métal que son premier et précédent long-métrage, Grave, le nouveau film de Julia Ducournau semble effrayé...
Mercredi 16 juin 2021 Une éleveuse de sauterelles en difficulté découvre que nourrir ses bêtes en sang fait bondir le rendement… Aux lisières du fantastique et du drame social, le premier long de Just Philippot interroge les genres autant que notre rapport au vivant et à...
Mardi 21 novembre 2017 On sait depuis Spider-Man qu’un grand pouvoir implique de grandes responsabilités. Mais comment les assumer si l’on a pas encore conscience d’en posséder un ? Dans Thelma, son éveil chez une jeune femme coïncidera avec la résolution radicale de son...
Mardi 4 juillet 2017 Dans un petit village de la Drôme que rien ne prédestinait à la renommée, Ferdinand Cheval, modeste facteur, a érigé pierre après pierre un palais devenu symbole précurseur de l’art brut. Chaque année, près de cent mille visiteurs viennent admirer...
Mardi 7 février 2017 Programmé par la Semaine de la Critique, Grave fut la sensation gore du dernier festival de Cannes — il faut dire qu’il n’y a pas beaucoup de cinéma de (...)
Mardi 8 novembre 2016 Conséquence d’une fructueuse récolte dans les marchés internationaux du film, la 21e édition des Rencontres du cinéma francophone s’avère des plus gouleyantes. (...)
Vendredi 27 septembre 2013 La cassette audio fêtait il y a peu ses 50 ans. L'occasion de souligner le regain d'intérêt que lui témoignent non seulement les mélomanes les plus avertis (...)
Vendredi 27 septembre 2013 Au commencement, une question, tristement banale, après l'amour : «A quoi penses-tu ?». Qui ouvre les vannes de l'esprit du musicologue qui a emmené sa (...)
Vendredi 18 mai 2012 Certes quand on dit "Talbot", on pense immédiatement aux voisins obèses de nos parents dans les années 80, dont on se demande comment ils faisaient pour (...)

Suivez la guide !

Clubbing, expos, cinéma, humour, théâtre, danse, littérature, fripes, famille… abonne toi pour recevoir une fois par semaine les conseils sorties de la rédac’ !

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X