Théâtre / À partir du documentaire L'Abécédaire de Gilles Deleuze, une jeune troupe plonge dans les entrailles de la vie et de l'œuvre du philosophe disparu en 1995 : un spectacle parfois déséquilibré, mais méritant et joyeusement foutraque.
Tenter de jouer sur scène la pensée qui se met en branle. C'est un pari risqué, assuré par les six comédiens jouant une sorte de ping-pong philosophique. L'objectif : donner matière et chair aux concepts de Gilles Deleuze, en prenant appui sur le documentaire projeté d'entrée de jeu, L'Abécédaire.
Tout commence comme une conférence. Ce film, que Deleuze n'avait accepté qu'à la condition qu'il soit diffusé après sa mort, va être sujet à discussion. De A comme Animal à Z comme Zigzag, la compagnie du MégaSuperThéâtre (dont les membres sont issus pour la plupart du Conservatoire de Toulouse) ne nous montre que quelques minutes de cette conversation au long cours, retransmise en accéléré, à l'exception d'un arrêt sur image à N comme Neurologie. « Qu'est-ce qui se passe dans la tête quand on a une idée ? »
Fin de l'intro, début du théâtre. Avant de disséquer quelques lettres de cette liste, il est question de ce qui a caractérisé Deleuze et a même été popularisé, sur M6 et France Inter, depuis quinze ans par le drôle d'érudit de la chanson et du jazz qu'est André Manoukian : la déterritorialisation. En jouant des limites de leur estrade de bois, les acteursn mis en scène par Théodore Oliver, cernent leur espace de jeu, interrogent la question de frontière ô combien clivante, notamment dans cet entre-deux-tours présidentiel, et sonnent le début de la démonstration : « c'est la naissance de l'art », disent-ils.
Non, mais laissez-moi
À tour de rôle, les acteurs prennent en charge une lettre et donc une saynète qui illustre la notion inhérente à celle-ci. Sans verser dans le cours de philosophie trop ardu, cette pièce emprunte des chemins de traverse (par la variété notamment) quand émerge la chanson de Renaud, Le Petit chat est mort fredonné l'air de rien. Ou quand les noms de Michel Onfray, Julien Lepers et le Père Fouras surgissent pour répondre à « quelqu'un qui sait tout » pour C comme Culture.
À trop vouloir en faire, à tenter de donner toutes les interprétations du cheminement de Deleuze, les comédiens versent parfois dans une satire un peu vaine (la déclinaison de la pomme). Mais il reste des garde-fous, notamment un de leurs acolytes, resté assis dans la salle, qui prend des notes, fouille Google et Wikipédia, illustrant avec citations et dessins ce qui se dit. Il rumine dans son coin, marmonne des indications scéniques et offre à la fois un décalage et un squelette à ce travail, qui parfois part légèrement en vrille.
Un effet sans doute recherché, à l'image des deux musiciens dominant ce petit monde et déguisés en Apaches. Foutraque comme une chanson de Philippe Katerine, ce spectacle en a l'aspect bien ficelé mais pas vraiment fini. À suivre.
Les Assemblés. Conversations posthumes avec Gilles Deleuze
Au théâtre de L'Élysée jusqu'au 13 mai