European Lab / Secrétaire d'État à la modernisation administrative et ancienne adjointe au maire de Lisbonne, Graça Fonseca a fait de Lisbonne puis du Portugal la première capitale et le premier pays à mettre en place des budgets participatifs : soit des budgets soumis à des commissions citoyennes. Entretien.
Quels types de projets ont vu le jour grâce aux budgets participatifs à Lisbonne et au Portugal ?
Graça Fonseca : C'est tout nouveau à l'échelle du Portugal, on a commencé cette année, donc il n'y a pas encore de projet réalisé. La période de vote commence en juin et on aura des premiers résultats à la fin de l'année. Au niveau local, à Lisbonne, la plupart des projets concernent la qualité de vie : l'espace public, les espaces verts, les équipements culturels, les espaces de jeux pour les enfants... C'est l'objectif principal : les gens veulent vivre, travailler, avoir des enfants dans une ville agréable.
Au niveau national c'est un peu différent. On observe avec cette première expérience de budgets participatifs que les gens proposent beaucoup d'idées ayant trait à l'identité locale, l'Histoire, l'artisanat... C'est important, en tant que pays, de se développer par l'innovation, mais aussi de prendre en compte son ADN, ses traditions, son industrie, son savoir-faire. Le Portugal ne sera jamais la France, la France ne sera jamais l'Angleterre. On doit chercher ce qui nous rend différents des autres et le transformer en richesse. On doit chercher ce pour quoi on est doué. C'est dans ce sens que je parle d'identité.
Nous avons une région où, il y a 30 ans, l'industrie de la laine était très développée. Cela s'est perdu aujourd'hui : c'est une préoccupation de la population. Pourquoi on ne recommencerait pas à fabriquer des vêtements avec ce matériau ? Cela créerait de nouveaux emplois, de nouvelles compétences... Nous avons aussi des arts traditionnels qui ont été perdus parce que les jeunes ne les travaillent pas. Si nous créons des projets pour que les gens apprennent et travaillent ces arts, on peut générer de la richesse économique, parce qu'aucun autre pays ne peut faire la même chose. Sur le marché mondial, c'est quelque chose de très intéressant à explorer.
Concrètement comment les projets sont mis en place une fois les décisions prises ?
Attention, on ne prend aucune décision, ce sont les citoyens qui votent pour un projet. Par exemple, l'une des propositions est dans le domaine des sciences, pour que les enfants apprennent la robotique et apprennent à coder. Si ce projet gagne, s'il remporte le plus de votes, ce qui va se passer c'est que le ministère des Sciences va mettre en place des équipements pour apprendre la robotique et le code, avec l'argent public, qui vient des impôts. Ensuite, chaque enfant peut en bénéficier.
Cela peut concerner tous les secteurs ?
Oui, cela a vocation à exister dans tous les domaines du gouvernement. C'est la première année, nous n'avons pas de modèle, on a décidé de commencer dans des secteurs bien définis que l'on pourra évaluer précisément, pour choisir la direction à prendre l'année prochaine. On commence avec quatre domaines : la culture, la science, l'agriculture et la formation pour adultes.
Vous avez mis en place ce mode de fonctionnement à Lisbonne il y a dix ans, quel bilan pouvez-vous tirer ?
Lisbonne a été la première capitale à mettre en place ces budgets, en 2007. L'évolution est très positive puisque la première année, 1000 personnes ont participé au vote, et l'an dernier environ 60 000. En terme d'investissement des citoyens, ça a progressé, en nombre de projets aussi. Nous avons monté Startup Lisboa, un incubateur de startups, devenu une référence en Europe en terme d'espace d'incubation urbain. C'était une proposition de budget participatif, qui a permis au milieu entrepreneurial de se développer. Lisbonne est un bon exemple de comment vous pouvez transformer, au beau milieu d'une crise économique, car c'était le cas à l'époque, l'économie d'une ville à travers les startups et l'entrepreneuriat.
Dans le secteur culturel, il y a eu le Cinema Europa, qui était désaffecté et devait devenir un bâtiment résidentiel. Il y a eu une proposition pour conserver sa dimension culturelle en gardant le rez-de-chaussée à cet effet. Donc le bâtiment est aujourd'hui composé d'appartements dans les étages et d'un centre culturel au rez-de-chaussée, où l'on trouve une bibliothèque, où l'on peut voir des expositions... Cela montre ce qui est possible à travers la mobilisation citoyenne.