Économie / Un lieu vierge de toute pollution publicitaire ? Cette ère semble s'achever. Au théâtre, débarquent en cette rentrée des spots publicitaires. Lyon n'est pas encore concernée, mais elle pourrait l'être en cours de saison.
Vous avez l'impression que le tunnel de pub subi avant chaque film vu dans un multiplexe pourrait rendre gratuite votre place de cinéma, tant elle semble amortie par cette litanie de spots ? Au théâtre, bientôt, vous ne serez plus à l'abri de cette sensation.
À Lyon, aucun lieu ne franchira le pas dès cette rentrée, mais cela pourrait advenir prochainement. À l'origine de ce projet, la régie publicitaire ODW qui, en discutant avec le Comedy Club de Paris, s'aperçoit que les théâtres, toujours en manque de ressources, pourraient reprendre ce modèle des salles obscures.
Très encadré et beaucoup moins long qu'au cinéma, ce que propose la régie parisienne est nettement plus digeste : il s'agit d'un format de 4'10 maximum, comprenant une introduction (le logo du lieu), une bande-annonce d'un autre spectacle donné dans le même théâtre et deux spots de publicité de trente secondes. Avant, de nouveau, une bande-annonce et deux autres publicités.
Dix-sept théâtres, tous privés, se sont déjà embarqués dans ce nouveau modèle. Douze sont à Paris et cinq autres dans quatre villes de province (Marseille, Avignon, La Rochelle et Rouen). Soit la bagatelle de 31 salles.
À Lyon, ni le Thêâtre Tête d'Or, ni le Radiant, ni les principaux café-théâtres n'ont été approchés. Seule la Comédie Odéon a été démarchée, mais son directeur, Julien Poncet, n'a pas adhéré :
« Bien sûr, je me pose la question des ressources. Mais cette offre ne me paraissait pas adaptée à mes problématiques, notamment car j'avais peu de maîtrise sur l'environnement. Or je souhaite avoir un regard sur la programmation de ces spots. »
Plutôt un circuit court
Alexandre Vernier, co-fondateur d'ODW, explique que ses annonceurs sont des « premium. » Entendez par là des voitures haut de gamme ou de la joaillerie, plutôt que de la lessive. Les packages sont nationaux, les mêmes pour tous : des musées publics ou privés sont déjà en demande d'être ainsi promotionnés. Julien Poncet, implanté dans un quartier Grolée (enfin) en pleine mutation et qui accueillera en cette rentrée un roi de l'habillement comme Uniqlo, souhaiterait éventuellement développer cette idée en interne avec plus d'autonomie :
« on aurait tout à gagner à discuter avec les enseignes, avoir des liens de circuits courts comme il en existe dans l'alimentation aujourd'hui ! »
Le gain annoncé par ODW de 5000€ par an paraissait peu attractif. Alexandre Vernier parle désormais de ressources allant de 10 000 à 50 000€ par an, pour un théâtre de 200 places, ceci dépendant grandement du nombre de salles et aussi de la configuration des spectacles : il n'est pas question d'imposer un rideau de scène pour un show qui nécessiterait au contraire de commencer ouvert sur le public.
Venez comme vous êtes
« Des théâtres publics commencent à nous contacter d'eux-mêmes » confie Alexandre Vernier, « mais aucun à Lyon pour l'instant. » Son public cible n'est pas vraiment celui des théâtres institutionnels. Il a pu constater que :
« les publics de spectacles vivants étaient des CSP+ avec un niveau d'éducation très supérieur à la moyenne française, que les annonceurs ont beaucoup de mal à toucher car ils regardent peu la télé et vont peu au cinéma. »
Le théâtre, lieu de consommation culturelle comme un autre, n'échapperait donc pas à l'intrusion publicitaire. C'est tout le paradoxe des théâtres qui ne sont jamais si nécessaires que lorsque leur programmation est en prise directe avec le monde et qui nécessitent une certaine sanctuarisation pour mieux accéder à ce qui y est véhiculé, sans qu'il ne soit jamais question de prestige.
Parmi les spectacles se déroulant en présence de protagonistes vivants, « seul le sport était concerné par la publicité jusqu'alors, aux mi-temps » note Alexandre Vernier. Habituellement, on est passif et face à un écran pour recevoir la publicité (cinéma, télé, internet). Dès ce mois-ci, l'incursion débute dans les salles concernées, avant peut-être demain, des salles de musiques actuelles ?