Au théâtre, on commence à rouvrir

Au théâtre, on commence à rouvrir

Covid-19 / Dès le 2 juin, les théâtres pouvaient donc rouvrir, selon Édouard Philippe. Rien n'est moins sûr, après un si long arrêt. À l'heure où les lieux subventionnés présentent leur prochaine saison, certains dans le privé essayent d'accueillir, de nouveau, leur public.

Début mai, le rapport de l'infectiologue François Bricaire faisait l'effet d'une bombe dans le milieu du théâtre : il préconise alors des comédiens masqués et une distanciation d'1, 50m entre chaque personne dans le public, donc des taux de remplissage qui tomberaient à 30% de leur capacité initiale... Édouard Philippe a beau avoir annoncé, dans son allocution du 28 mai, l'ouverture possible des théâtres dès le 2 juin, c'est tout bonnement injouable : ce serait à perte.

Du côté des théâtres subventionnés, les artistes ne sont pas prêts : il n'y a pas eu de répétitions pour les grosses productions. Les cafés-théâtres peuvent s'adapter plus facilement. Ainsi, le Rideau Rouge, qui accueille habituellement des spectacles de troupe, fera place à des one-man-show comme son cousin du Boui Boui dont c'est l'activité principale. Les deux salles de Stéphane Casez sont ouvertes depuis le 5 juin à 60% ou 70% de leur jauge. Car les conditions se sont considérablement assouplies dans le décret finalement paru le 31 mai : finie la règle d'un rang sur deux vide, la distance d'un siège n'est plus valable qu'entre des groupes et non des individus et les comédiens sont, sur scène, débarrassés des gestes barrières. Reste encore le port du masque obligatoire, et il faut instaurer un sens de circulation et la distanciation sociale devant les toilettes et l'entrée au théâtre. « C'est tout a fait viable économiquement pour nous » dit-il. Tous observent cette souplesse. Serait bientôt actée aussi l'abolition de la nécessité de la distance d'un mètre s'il y a port du masque, selon Michel Bernini, membre du syndicat des théâtres privés à Paris et, ici, directeur de Lulu sur la Colline. Sa demande de prêt refusée par la Lyonnaise de Banque, il a lancé un crowdfunding — réussi — de 15 000€ pour payer ses fournisseurs et il ouvre son théâtre de 254 places (dans lequel il a refait le parquet durant le confinement) le jeudi 2 juillet en jauge réduite mais rentable.

Vice-président de l'Association des Théâtres Privés en Région (ATPR), créée au début de la crise sanitaire et comptant 84 membres, Julien Poncet, directeur de la Comédie Odéon, admet que les nouvelles orientations du décret laissent la possibilité d'ouvrir, ce qu'il fera fin juin malgré cette période estivale traditionnellement creuse pour tous et une haute saison décimée par la Covid-19. « Nous voulons clore la saison » dit-il à l'instar d'Anne-Marie Potel du Rikiki qui ouvrira deux ou trois week-ends en juin et juillet « pour saluer le public ».

« Nos spectateurs nous sauverons » poursuit Julien Poncet qui les a interrogés via un questionnaire en ligne : la Comédie Odéon a obtenu 900 réponses en 24 heures ! Tous manifestent leur envie de revenir au théâtre voir une comédie, « mais je veux préserver notre identité et mêler à notre programmation un spectacle d'écriture contemporaine. »

Le public en première ligne

Le soutien du public s'est aussi concrétisé par le peu de demandes de remboursements reçues et le grand nombre de reports. Même son de cloche du côté de l'Espace GersonCéline Abrahamian, a constaté que les gens « sont en général très solidaires », gardant leur billet pour plus tard – 123 dates ont été reportées sur septembre / janvier 2021 à Gerson ou bien dans les lieux partenaires (Radiant, Toboggan, Bourse du Travail). Un seul spectacle a dû être annulé ! Mais la réouverture sera prudente : « nous n'avons pas envie de devenir un cluster » dit-elle et, dans l'immédiat, avec cinquante places possiblement occupées sur les 110 disponibles, ce ne serait pas rentable d'ouvrir sachant que les charges restent les mêmes et que le bar ne pourrait pas fonctionner. Objectif : le 1er juillet voire le 24 juin si les choses se dégelaient encore.

Or ces préoccupations économiques, elle insiste sur la nécessité que « les artistes jouent dans des conditions correctes et que les spectateurs soient rassurés ; on nous dit qu'il faut se réinventer mais pourquoi se transformer à tout prix ? La convivialité n'est pas compatible avec l'ambiance actuelle. » D'autres profitent de cette étrange période pour réaliser leur rêve d'être à l'extérieur comme Michel Bernini qui investit les Puces du Canal pour les Nuits du Canal du 11 juin au 12 septembre : barbecue, spectacles de la bande de Kaamelott et 370 places à même des pneus au sol ou sous chapiteau s'il pleut.

Enfin, le Complexe du Rire reprend l'exploitation de ses deux salles à 60% de la jauge dès le 17 juin en changeant le pourcentage de rémunération des artistes qui passe de 50 / 50 à 60 (pour la salle) et 40 afin de pallier le trou d'air.

Aucune des salles contactées n'a contracté de prêt bancaire garanti par l'État, mais toutes ont été sauvées par le chômage partiel. Ça ne suffit pas, souligne Julien Poncet qui rappelle qu'il est, avec la Comédie Odéon, un acteur du territoire car « lorsque je remplis la salle, je participe aussi au remplissage des restos autour, or ce théâtre reste peu considéré par les politiques locales. » Il affiche une certaine satisfaction en revanche au niveau national car même si « en ce moment pour parler culture mieux vaut s'adresser à Bercy qu'à la rue de Valois », avec la création de cette association ATPR, « l'État n'ignore plus le théâtre privé en dehors de Paris ».

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