La saga des congés payés pendant la maladie
Me Diane Mazoyer / Le droit européen a consacré le congé annuel payé de quatre semaines comme principe essentiel du droit de l'UE, attaché à la qualité de travailleur. Si la réglementation française est, depuis les lois Auroux de 1982, plus avantageuse que la norme européenne en instituant la cinquième semaine de congés payés, elle a dû se mettre en conformité récemment pour les cas de suspension du contrat pour maladie.
Petit rappel des épisodes précédents..
Depuis 2003, le droit de l'Union européenne, avec l'article 7 de la directive n° 2003/88/CE, garantit à tous les travailleurs un droit aux congés payés de quatre semaines par an, y compris pour les salariés en suspension de contrat pour maladie et accident d'origine professionnelle ou non, car ce droit universel n'est conditionné par aucune modalité préalable d'exécution du contrat.
En droit français, c'est sous réserve de pouvoir justifier avoir effectivement travaillé pendant un certain temps (au minimum un mois) au cours d'une période préalable de référence que le salarié acquiert, au titre de chacun de ces mois de travail effectif, des droits à congés payés.
En toute logique, l'article L3141-5 du Code du travail limitait à un an les périodes de suspension pour accident du travail et maladie professionnelle pour la détermination des droits, et rien n'était inscrit pour les périodes de maladies « simples », qui ne permettait donc pas l'acquisition de congés payés, sauf dispositions plus favorables des accords d'entreprise et conventions collectives.
En raison de ce concept de travail effectif pour avoir droit à des congés (ou périodes assimilées à du temps de travail effectif), le législateur refusait de transposer la directive européenne malgré la jurisprudence de la CJCE et de la Cour de cassation.
Par trois arrêts en date du 13 septembre 2023 (Cass. Soc., 13 sept. 2023, nº 22-17.340 – 341 et 342), la Cour de cassation a écarté l'application de l'article L3141-5 du Code du travail au profit du droit européen et emportée dans son élan, a ouvert la voie à un principe de rétroactivité, créant instantanément des dettes colossales et non provisionnées pour les entreprises dans un contexte économique incertain.
Le législateur n'avait pas d'autre choix que d'intervenir ! C'est chose faite avec la loi 2024-364 adoptée le 22 avril 2024 et entrée en vigueur
le 24 avril 2024.
Quel est le principe ?
Désormais, toutes les absences maladie ou tous les accidents donnent lieu à l'acquisition de congés payés sans limitation de durée ou presque ! L'article 37 de la loi 2024-364 du 22 avril 2024 a modifié l'article L3141-5 du Code du travail sur les absences pour maladie et a rajouté un nouveau cas d'assimilation pour le congé paternité au passage.
Le calcul d'acquisition des congés payés devra s'effectuer en distinguant suivant l'origine professionnelle ou non de l'absence, une différence de traitement validé par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 8 février 2024 (2023-1079 QPC) :
– Dans le cas d'un arrêt pour accident de travail ou maladie professionnelle, les salariés pourront acquérir 2, 5 jours de congés payés par mois, peu importe la durée de l'arrêt.
– Dans le cas d'un arrêt pour maladie non professionnelle ou accident de trajet, les salariés cumuleront 2 jours ouvrables par mois, dans la limite d'une attribution « à ce titre » de 24 jours ouvrables par période d'acquisition et non 30 jours.
Attention, l'employeur devra comparer la situation individuelle de chaque salarié à l'aune de son corpus juridique interne (accords collectifs ou de branche), s'il est plus favorable.
Il devra appliquer les règles d'arrondis et d'équivalence posées par l'article L3141-4. Il pourra arriver que le salarié malade la moitié de l'année acquière au final 30 jours ouvrables de congés payés comme un salarié présent sur toute la période...
Le calcul des droits à congés sur les différentes périodes d'acquisition, avant et après la suspension du contrat, va donner des sueurs froides aux services payes, et ce, d'autant plus qu'il va falloir donner une information juste au salarié.
Obligation d'information de l'employeur
Lorsque le salarié revient dans l'entreprise après chaque arrêt de travail : l'employeur dispose d'un délai d'un mois à compter du retour du salarié pour l'informer sur le nombre de jours de congés payés dont il dispose, ainsi que sur la date jusqu'à laquelle ces congés peuvent être pris.
Cette information doit être faite par tout moyen indiquant une date certaine de réception.
Le plus simple est qu'elle soit faite par mention sur le bulletin de paie, ce qui va contraindre les cabinets comptables à adapter les logiciels de paye pour une information pertinente et fiable, notamment sur le calcul du report.
Introduction d'un droit au report
Selon les dispositions spécifiques L3141-19-1 et L3141-19-2 du Code du travail, au retour du salarié après la période de prise des congés payés, la prise des jours pourra être reportée sur une période maximale de quinze mois à compter de l'information par son employeur. Au-delà de ce délai, les congés sont perdus.
Cas particulier : si l'arrêt de travail est d'au moins un an à la date de la fin de la période d'acquisition des congés payés (en général le 31 mai, sauf accord collectif en disposant autrement), la période de report débute à la date à laquelle s'achève la période de référence au titre de laquelle les congés payés ont été acquis.
Si le salarié est toujours en arrêt après la date de fin du report, les congés payés sont perdus au titre de cette période.
L'employeur devra calculer les différents points de départ des reports de congés selon les différentes périodes d'acquisition.
On se reportera utilement aux exemples donnés dans le code numérique par l'administration en cas de doute.
Par contre, ces dispositions de report ne doivent pas faire oublier que c'est bien l'employeur qui fixe les dates de départ en congés à l'intérieur de cette période de report, avec respect du délai d'un mois, sous réserve des dispositions conventionnelles.
Les risques contentieux après la loi du 22 avril 2024
La loi du 22 avril 2024 a modifié la règle pour tenir compte du nombre très important de salariés, qui ont été lésés dans leurs droits depuis de nombreuses années, eu égard au droit européen applicable, mais elle encadre par des prescriptions existantes dans le droit français.
Si le salarié est présent dans l'entreprise, il a deux ans pour agir en justice si le contrat est toujours en cours, soit jusqu'au 23 avril 2026.
Il peut réclamer les congés acquis durant la maladie non professionnelle dans la limite de 24 jours ouvrables par période d'acquisition, déduction faite des congés déjà acquis sur la période, et ce, depuis le 1er décembre 2009 !
Par contre, aucune rétroactivité n'est prévue par la loi pour l'acquisition des congés payés en accident de travail ou en maladie professionnelle au-delà d'un an.
L'ancien salarié doit avoir engagé son action dans les trois ans de la rupture de son contrat de travail (antérieure ou postérieure à la loi).
Attention, les actions au titre des contrats rompus avant le 23 avril 2021 sont prescrites.
Il risque de se voir développer un contentieux sur l'application de cette prescription, car le salarié ne pouvait pas être informé de ses droits avant publication de la loi : la jurisprudence de la Cour de Justice européenne peut utilement être invoquée.
On attend avec impatience la position de la Cour de cassation sur l'application de cette loi et sa rétroactivité et l'administration devrait publier aussi un questions-réponses.
Pour conclure, la mise en application de cette loi du 22 avril 2024 sur le droit au repos des salariés n'est pas de tout repos pour les employeurs !
Les employeurs devront évaluer les impacts réels et déterminer, avec un conseil avisé, les procédures à mettre en œuvre au niveau de leur obligation d'information et la manière de répondre aux demandes des salariés concernés.