Portrait / Vous avez sûrement déjà croisé le flash de son appareil photo sans savoir qui le déclenchait. Il vous a tiré le portrait ? Voici le sien.
Au terme de son cursus aux Beaux-Arts de Lyon, une correspondance épistolaire avec l'artiste chilien Alejandro Jodorowsky, attaché à l'irréel, ramène Aldo Paredes sur Terre. Nous sommes en 2011 : Aldo est rongé par des démons intérieurs, il n'arrive pas à expliquer ses doutes. Cet échange lui permet de poser les mots sur les tourments qui l'ont poussé à quitter son Équateur natal six ans plus tôt. « C'était tellement intelligent par sa simplicité et sa profondeur que c'était clair en moi », explique-t-il. À l'adolescence, il était balloté de lycées en lycées ; il fait partie de ceux qui disent tout haut ce que les autres pensent tout bas. Ces souvenirs d'Équateur sont aujourd'hui flous ou ont disparu au profit de ceux qu'il a créés à Lyon.
Je me souviens avoir touché un point très obscur. Mais il fallait que je passe par là pour savoir que c'était le moment d'agir.
Aldo pose ses valises dans la capitale des Gaules en 2004, soutenu par sa mère – un véritable mentor, qui lui donne goût au challenge : « à 23 ans elle était orthodontiste, nageuse professionnelle, élevait deux enfants et elle voulait finir ses leçons de piano. » Le rayonnement de la capitale n'attire pas le futur étudiant aux Beaux-Arts. Le Paris cosmopolite n'aurait pas été à la hauteur du défi de repartir à zéro. Intuitivement, il le sait, Lyon est le juste milieu. Les Beaux-Arts ? Pour explorer son intuition à travers la peinture et la photographie... sans se douter qu'elle prendrait autant de place dans sa vie. Aujourd'hui, il peint quand il ne voyage pas, pour se ressourcer dans la solitude de l'atelier.
Nouveau monde et vieux continent
Huit mois pour avoir ses papiers ; pas question de faire demi-tour face au casse-tête administratif français : il n'a qu'un billet d'avion, « one way ». L'adaptation ne se fait pas en un claquement de doigt. Aldo est conscient que cela peut arriver n'importe où ailleurs : « quand tu changes de langue, c'est une bataille. C'est frustrant parce que tu compares tout, comme un chewing-gum collé à ta chaussure que tu veux décoller. » Un simple achat à la boulangerie est un challenge, lorsqu'il demande du « pain » avec son accent chantant !
Cet apprentissage linguistique est un processus qu'Aldo intègre partout. Comme lorsqu'il photographie la tournée de la DJ house originaire de Chicago, The Black Madonna, rencontrée en 2014 : « à un moment, elle me dit « Aldo, tu me fais rire parce que je pense que tu es un peu naïf pour les Américains ». Je lui ai répondu que « non, je n'arrive juste pas à trouver ma personnalité américaine par rapport à la langue. » Plus cocasse, lors d'un échange en Chine avec les Beaux-Arts, où il écoute les conversations pour en répéter les sonorités... sans en comprendre le sens.
J'arrivais à avoir des conversations sans savoir de quoi on parlait avec des Chinois pendant vingt minutes quoi !
À force de destin
Aldo Paredes s'ancre à Lyon au fil des années et des rencontres. Il trouve une deuxième famille, en gardant leur fils de neuf ans ; shoote les soirées au Sucre ou les concerts au Transbordeur ; entre dans l'univers fraternel du festival de hip-hop L'Original en 2013. Derrière son appareil photo, les publics s'affirment ou s'éclipsent :
En électro les gens sont en représentation. Des fois ils le prennent mal parce que tu ne fais pas ce qu'ils te demandent. En hip-hop, la plupart ne veulent pas se faire prendre en photo. Ils ont des identités un peu cachées. Mais j'arrive de plus en plus à créer des liens.
Un pied en France, l'autre à l'étranger, le photographe aux cheveux bouclés ne passe pas plus de huit mois par an à Lyon – l'occasion d'expérimenter de nouveaux challenges. Lors de son voyage en Chine, d'une « complexité magnifique », il part au centre du pays chez un ami chinois (Lion, de son nom occidental – coïncidence ? Il ne croit pas non plus) pour le nouvel an. À cette occasion, toute la Chine se déplace... Face aux couchettes bondées et à la chaleur des radiateurs, Aldo y va au culot et trouve un lit pour s'allonger. La police vient le chercher. Il se fait passer pour un journaliste. Il y gagne les excuses des policiers et une invitation au resto. « J'ai dit OK, mais avec les autres. »
Les bénéfices de ses ventes de tableaux lui permettent de multiplier les voyages pour ses projets photo personnels. Après la Chine, l'Égypte : il veut capturer l'alignement planétaire du fameux 12/12/2012. Mais les prémisses du Printemps Arabe explosent autour de lui. Il intrigue les manifestants cagoulés avec son Polaroid mécanique, qui le prennent pour... un journaliste. Alors encerclé, tentant d'expliquer qu'il n'est qu'un étudiant en art, l'un de ses « anges gardiens » lui ordonne de fuir, le temps d'une poignée de main et d'un sourire illustrant avec courtoisie l'urgence de la situation. Grâce à ses anges, Aldo Paredes s'est souvent retrouvé ou sorti de moments extraordinaires. Une fois désorienté en Chine à cause de la pollution, il se retrouve une autre à galoper en plein Sahara sur une jument sauvage nommée Sarah, au lendemain d'un cliché d'anthologie : nu, face à l'éternité des pyramides de Gizeh. Qu'il s'agisse de son ami chinois Lion ou du chamelier Sahir, chaque épisode de sa vie croise la route d'Hommes au supplément d'âme. Le destin ? Quand on lui demande s'il y croit, Aldo avoue ne pas connaître l'équivalent français :
Si croire qu'il n'y pas de hasard c'est le destin, moi je l'appelle causalité. Une rencontre doit être une synergie qui créera quelque chose.
Devant une toile ou sur le dancefloor
Qui dit destin dit instinct, et Aldo sait suivre le sien. Sa peinture, éclatante de couleurs, est intuitive, à l'image de celui qui tient le pinceau. De la même manière, il se remémore des séances d'autostimulation devant un mur avec un ami, où chaque drogue qu'il prend, est une limite en moins, chaque substance une couleur de plus sur cette toile de béton. Addictif : un autre pan de la personnalité du photographe équatorien, qui n'a jamais quitté la musique électronique depuis qu'il l'a découverte dans l'usine désaffectée des parents d'un ami. En Équateur, il côtoyait des milieux socio-culturels et des manières différentes de faire la fête – rock, hip-hop, salsa... et électro.
Son appareil photo le mène aujourd'hui dans les plus grands festivals de l'hexagone comme We Love Green, Chalet Perché ou Jazz à Vienne. Depuis leur rencontre à Lyon, il entretient une relation privilégiée avec The Black Madonna : « la première photo que j'ai fait d'elle, j'ai eu peur qu'elle ne lui plaise pas, mais elle a adoré. » La fer de lance de la scène queer acquiesce : « je n'aime pas être prise en photo, mais il a su me mettre à l'aise. Cette première photo, c'est aussi la première fois que je me voyais telle que je suis, comme devant un miroir. Il sait capturer l'énergie et l'émotion d'un mouvement. » Son flash saisit des instants transcendants, il éclaire ces moments de relâchement qui vous envahissent sur le dancefloor. Il tourne désormais en Europe et en Amérique pour son We Still Believe World Tour. Surprenant pour un DJ d'être suivi par le même photographe ? Pour Black Madonna, c'est une relation de confiance. Aldo shoote les événements qu'elle veut marquer au fer rouge : « mon histoire n'est pas que sonore. Elle se réalise en images, que l'on s'enlace avec Cherry Martini (NdlR : artiste burlesque queer) en plein set ou lors d'un moment intime avec Mike Servito... Aldo est celui en qui je crois pour raconter l'histoire. »
Il sait aussi capturer des évènements en apparence plus inertes. Agathe Salgon, chef de projet des expositions au Grand Palais, collabore avec lui depuis 2011 : « il a un rapport unique avec les scénographies et les œuvres qu'il prend en photo. Aux niveaux personnels et professionnels, il est toujours très engagé humainement. »
À son image, l'actualité du photographe-challengeur est inattendue : d'une exposition pour le PSG au Parc des Princes au catalogue de la rétrospective de Chris Marker prévue en mai prochain à la Cinémathèque Française. Il vient même de réaliser la pochette de l'album de Parquet et un clip du duo garage The Limiñanas.
Demain ? Vous le trouverez sûrement dans une maison aux Philippines achetées en bitcoins. Mais avec Aldo, demain n'attend pas.