Lion d’Argent Venise 2018 / de Jacques Audiard (Fr, 1h57) avec Joaquin Phoenix, John C. Reilly, Jake Gyllenhaal...
Mieux vaut ne pas avoir de différend avec le Commodore. Car il envoie ses deux dévoués Charlie et Eli Sisters, tireurs d'élite et cogneurs patentés. Les deux frères vont pourtant faire défection quand une de leurs proies explique avoir découvert un procédé permettant de trouver de l'or...
On attendait, en redoutant que la greffe transatlantique ne prenne pas, cette incursion de Jacques Audiard en un territoire aussi dépaysant par les décors, les usages ou les visages, que familier par son poids mythologique et les séquences fondatrices ayant dû sédimenter dans son imaginaire. Mais même délocalisé, le cinéaste n'est pas abandonné en zone hostile. D'abord, il se trouve toujours escorté par son partenaire, le magique coscénariste Thomas Bidegain ; ensuite la langue anglaise ne peut constituer un obstacle puisque son langage coutumier se situe au-delà des mots, dans la transcendance de personnages se révélant à eux-mêmes et aux autres, grâce à un “talent“ vaguement surnaturel. Le tout, dans un contexte physiquement menaçant.
Empli de poudre, de sang et de traumas, ce néo-western-pépite réaliste (comme l'était l'excellent Hostiles) Les Frères Sisters ne fait pas exception à cette règle non écrite. À l'instar d'Il état une fois dans l'Ouest, il raconte ce moment de bascule entre la brutalité sauvage des “pionniers“ et la modernité domptant la nature — la chimie au service de la fièvre de l'or remplaçant ici l'irruption du chemin de fer. Cette arrivée du progrès, à défaut de “civilisation“, met fatalement au rencard les Sisters, brutes animales vestiges d'un autre temps.
Portée par l'inattendue fratrie John C. Reilly/Joaquin Phoenix — à l'œil puant le vice et la perversité — cette parabole aux échos bibliques est peut-être le film le plus moral d'Audiard. Le plus tristement optimiste, également.