Théâtre / À la manière de Maguy Marin dans sa nouvelle création Ligne de crête, l'auteur et metteur en scène Valére Novarina joue de la profusion. Ses mots, ceux de L'Homme hors de lui joués par Dominique Pinon, nous sont racontés par l'acteur. Entretien.
Comment définiriez-vous cette langue si particulière de Valère Novarina, parfois mythologique, contemporaine, populaire, ancienne ?
Dominique Pinon : C'est difficile à dire. Elle me paraît à la fois contemporaine et intemporelle. Elle est aussi biblique parfois – Valère est un spécialiste de la Bible. Ce n'est pas une langue savante du tout, c'est presque une langue pauvre. C'est une profusion de paroles pour remplir l'espace de la scène mais ce n'est n'est pas vain, ça a beaucoup de sens. Il est toujours question de la mort. J'aime ce télescopage de pensées et de mots et l'effet comique que ça produit, au sens noble du terme, sans vulgarité. Il y aussi une forme de stupeur. L'Homme hors de lui est un homme qui se regarde, c'est une espèce de duo entre lui et le spectateur, un jeu de miroir.
Vous parliez de langue pauvre mais le vocabulaire n'est pas pauvre.
Oui mais il y a plein de néologismes dans ses listes. Les noms qu'il invente, je les trouve géniaux. C'est très drôle. On a la sensation d'infini quand on lit ses textes, une parole qui se recrée, se régénère, qui rebondit l'une sur l'autre.
Est-ce que jouer ces paroles-là est un exercice physique plus compliqué que d'autres textes ?
Non, c'est un travail d'acteur, c'est un plaisir de mémorisation ; je sais qu'il y a des acteurs qui n'aiment pas apprendre, qui répètent tout le temps avec le texte à la main. Moi j'aime arriver le premier jour des répétitions avec le texte dans la tête pour pouvoir m'amuser avec. Mais c'est vrai que c'est une expérience physique avec Valère. Il parle toujours de tuyauteries (vocale, respiratoire, digestive...). Ce qui l'intéresse est tout ce qui sort de l'Homme. D'où le titre L'Homme hors de lui.
Il parle de la mort comme vous dites mais c'est aussi peut-être un des auteurs qui s'intéresse le plus à l'humanité, sans le grand H ?
Oui il s'intéresse à tous les petits bonshommes qu'on est, ces milliards de paroles qui s'échangent, cette profusion de mots et de généalogie et de transmission. C'est un poète. Sa parole est créatrice et très précise.
Vous êtes l'unique acteur sur scène mais vous n'êtes pas seul pour autant.
Un accordéoniste, Christian Paccoud, a une présence importante, il y a quelques chansons dans le spectacle. Et puis il y a le régisseur, Richard Pierre, qui a beaucoup travaillé avec Valère et qui l'appelle d'une très jolie formule « l'ouvrier du drame », celui qui apporte les accessoires sur scène, on le voit beaucoup et à un moment, Valère s'amuse à lui donner la parole ; c'est très beau. Ça crée un contraste. Et c'est aussi un peu technique car j'ai besoin de souffler un peu après une longue partie.
Il y a aussi sur scène les peintures qu'a faites Valère Novarina. Est-ce une aide importante pour vous que d'avoir d'une certaine façon le metteur en scène et auteur à vos côtés de cette façon ?
Oui c'est important. Ces peintures me soutiennent, m'entourent. Ils les a faites durant les répétitions au Théâtre de la Colline (NdlR : où la pièce a été créée en septembre 2017). Je me sers du châssis. Il y a souvent dans les spectacles de Valère les mêmes petits éléments, des boites desquelles apparaissent des têtes, des petits bonshommes forains. Je me fais un petit écrin avec ça où je glisse ma tête pour chanter par exemple.
Vous n'avez jamais abandonné le théâtre malgré votre carrière dense au cinéma. Comment parleriez-vous de ces deux métiers ? Sont-ils différents ?
Pour moi, c'est le même métier. L'organisation du temps n'est pas la même face à une caméra ou du public mais c'est jouer. Je continue à faire les deux car je trouve du plaisir à jouer (avec moi, mon corps, les autres) et peut-être à sortir de moi-même comme le dit le titre de Valère. D'ailleurs souvent les gens qui ne connaissent pas le théâtre de Valère ont un priori négatif en disant que c'est du théâtre un peu "contemporain" alors que moi c'est du théâtre populaire avant tout.
L'Homme hors de lui
Au Théâtre de Vienne vendredi 21 et samedi 22 septembre
À lire : Valère Novarina, L'Homme hors de lui (P.O.L.)