Astérix - Le Secret de la Potion Magique / Alexandre Astier revient sur la recette de ce nouvel opus animé de la série Astérix, dont il partage la réalisation avec Louis Clichy. Où il sera question de Uderzo, de L'Île aux enfants, de Goldorak, de Marvel, de manga et d'une note de Kaamelott... Entretien exclusif. Attention : peut contenir des traces de spoilers...
Avec cette histoire originale, vous vous êtes retrouvé en situation d'apprenti devant obtenir la bénédiction du vénérable druide Uderzo. Au-delà de la mise en abyme, comment s'est déroulée cette transmission ?
Alexandre Astier : La première fois que je lui ai présenté le pitch, il m'a dit qu'il ne pouvait pas rester un sujet fondamental qui n'aurait pas été traité en album — et ça se voyait que c'était sincère. J'avais peur du vieillissement parce qu'Astérix est un monde fixe : sans futur ni passé, ni vieillesse, ni mort, ni cheveux blancs, ni enfants pour remplacer les adultes. À chaque aventure, les personnages sont jetés dans une situation, s'en sortent et tout revient à la normale. Je crois qu'il a été touché par l'histoire. Est-ce qu'il l'a rapportée à lui ? Je n'en ai pas l'impression — je ne lui ai pas demandé.
Mais je crois qu'il a voulu voir ce que ça allait donner, cette difficulté de trouver un successeur et le risque que cela comportait. En plus, Uderzo est très amoureux et très impressionné par les images numériques. Il ne s'est jamais caché de vouloir faire Disney en France — il avait ouvert ses studios Idéfix. Le boulot de Clichy et de ses équipes l'a époustouflé. Même s'il avait peur de la séquence rough en flash back. Lui trouve que ce n'est pas fini alors que nous qui avons baigné dans les Pixar, on apprécie cette incursion du matériau (rires). Il a aussi accepté parce que le premier avait marché : s'il avait considéré que j'avais piétiné sa licence, que j'étais un p'tit con qui voulais apprendre la vie à tout le monde, j'aurais pas replongé.
La devise de Panoramix, « c'est joli et ça ne sert à rien » qui lui permet de triompher, résonne avec la phrase de Cocteau : « Je sais que la poésie est indispensable, mais je ne sais pas à quoi ». Serait-ce la morale de votre film ?
Je ne sais pas à quoi sert la poésie exactement. Il me semble qu'elle se voit quand elle n'est plus là, quand on ne s'occupe plus d'elle. Dans notre métier c'est compliqué, parce que la poésie est la seule chose que l'on vend, finalement ; la seule pour laquelle tu peux avoir une valeur. Et si l'industrie te fait entrer dans un cycle qui ne lui donne plus le loisir de s'exprimer, tu ne fais plus ton métier. Tu réitères. Et Panoramix réitère, en faisant la même chose — très bien, d'ailleurs, sans être surclassé depuis quarante ou cinquante ans. Mais pour prouver qu'il était encore le meilleur, je l'ai placé face à un antagoniste super doué qui n'a rien à perdre, qui improvise, qui a l'habitude de gruger, de contourner les choses. Il fallait que Panoramix fasse ici la preuve de son talent, avec ce qu'il avait sur lui et dans sa façon de gagner.
C'est une héroïne, la petite Pectine, qui lui permet de vaincre et donc de rassembler le village. Même si vous n'aimez pas les jeux de mots, l'avez-vous nommée ainsi parce qu'elle favorise la liaison par la cuisson (de la potion) ?
Ah, moi je trouvais ça vitaminé, pommesque et acide (rires) ! Quant à l'aspect “héroïne“, j'ai un peu de mal avec le fait qu'on puisse le voir comme en écho à un discours actuel. Je fais gaffe de ne pas l'être, d'habitude. J'ai mis les druides de la forêt des Carnutes dans une situation d'immobilisme complet, avec leurs traditions, dans l'absence de femmes... Ils ont tous les pieds dans le plâtre, d'une certaine manière. C'est pour cela que leur antagoniste Sulfurix est si libre.
Pour moi, il y avait une manière de m'attendrir sur mes propres filles, comme tous les papas de filles dans un monde qui leur est inégal, où l'éducation vis-à-vis des filles n'est pas bien faite.
Du coup, ça te fait faire des films qui renversent un peu la vapeur. Ce n'est pas une fierté particulière, mais je ne suis pas les mouvements. Je reprends toujours la phrase de Desproges : « si on faisait une manif pour sauver mes gosses, j'irais pas ». Je le crois vraiment. Je soutiendrais, hein, mais dès qu'on est plus de quatre, je n'y arrive pas. C'est un truc qui me stresse.
Dans l'album Le Ciel lui tombe sur la tête, Uderzo avait achoppé en introduisant des robots qui semblent a contrario tout à fait à leur place dans votre univers. Est-ce une question de différence de générations ?
Il est clair qu'on écrit tous avec nos fantasmes d'enfant. Ils sont le réel matériau que l'on utilise. Les miens sont certainement piochés chez L'Ïle aux enfants et Récré A2. Et quand je parle de Goldorak, c'est un grand héros, qui a compté pour moi. Aujourd'hui je peux mettre des mots sur l'ésotérisme dans sa façon de se diriger vers sa machine avec sa trappe, sa crémaillère... Mais quand j'étais gamin, c'était un monde entier qui se passait même d'être logique et qui me transportait vraiment. Du coup, si je veux écrire un truc bien, il faut que je mette dedans des choses auxquelles je tiens. Si je mets du Goldorak, c'est par affection, par amour. C'est un truc précieux que je donne ; je ne déconne pas avec ça. Pour moi, la scène de fin avec les robots est touchante ; elle marche sur moi — et j'espère sur d'autres.
On a certainement cette différence Uderzo et moi : il considère ce monde-là comme envahissant, c'est ce qu'il essaie de dire. Lui a tapé un peu dans Marvel et un peu dans les mangas, si je ne m'abuse. C'est son opinion de très grand dessinateur d'une autre école, je la respecte. Mais j'ai plutôt l'impression qu'il parle d'un problème industriel.
Moi j'adore naturellement le manga, que je trouve souvent plus créatif, à beaucoup d'égards. J'ai un peu largué les Marvel parce que pour moi, les super-héros sont toujours solitaires et un peu seuls face au monde.
En ce moment, on les met à des tables de réunion ; on mélange des dieux nordiques, des mecs en slibard et un mec qui a fait un robot (sourire), je ne comprends plus ce qu'ils foutent là ! Ce que j'aimais chez Hulk, c'est qu'il marchait le long de la rue et qu'il faisait du stop parce qu'il savait qu'avec son problème de mauvaise gestion de la colère, il était voué à une vie errante. Alors maintenant, s'il fait partie d'une équipe et qu'il se transforme à loisir... Donc je ne suis plus du tout là-dedans, je suis vraiment dans les manga et je ne suis pas super d'accord avec Le Ciel lui tombe sur la tête...
Vous n'avez pas caché avoir eu des frictions d'ordre créatif durant la réalisation avec votre co-auteur Louis Clichy. Mais n'était-ce pas utile d'avoir un antagonisme de cette nature qui ressemble, en définitive, à celui entre Astérix et Obélix ?
À présent, j'aime beaucoup cet antagonisme. J'ai eu d'autres frites avec des gens qui voulaient présenter le film comme ci, dévoiler ça, sans parler de changer des choses sur le script. Là, ce sont des conflits, et je suis extrêmement teigneux avec ça, — et ça ne s'arrange pas avec l'âge, je ne laisse absolument rien passer de ce côté-là ! Mais quand je respecte artistiquement la personne avec qui je fais le truc, voire que j'ai de l'admiration pour elle, quand les postes sont aussi clairement définis, toutes les frites sont acceptées.
Quand des parents s'engueulent pour l'avenir de leur gamin, finalement c'est sain : pendant ce temps, tout le monde s'inquiète de l'avenir du gamin.
L'un a tort, l'autre non ou pas, mais c'est sur fond de : “qu'est-ce qu'on peut faire de bien pour lui“ ? Sur le film, à chaque fois que ça fritait, c'était parce qu'on était de deux écoles différentes, et qu'on les tenait fort, entre les grammaires animée, parlée, de jeu, de situation, d'action... J'ai beaucoup appris, et je crois que Louis aussi. Je suis sûr que je ne réaliserai pas d'autres choses de la même manière maintenant.
Ce genre de conflit fait naitre de la vraie complicité. Là, on est un peu fatigués parce qu'on vient de sortir un truc, mais Louis fait partie des très rares personnes avec lesquelles je pourrais retravailler. Parce que je sais que tout ce qu'il fait, il le fait pour ce qu'on fait. Et lui pareil dans l'autre sens. On mesure l'importance des choses qui sont dans le film à la dose d'énergie que l'autre met à faire en sorte qu'elles ne soient pas remises en question. À cause, souvent, de problématiques triviales de budget, de temps... La contrainte nous oblige à prendre des décisions. C'est sans arrêt une histoire de balance, c'est zarbi...
Contrairement aux Astérix produits il y a une quinzaine d'années, il ne fait pas fauché...
Il y a des possibilités, il y a le temps du film, pas très long... 80 minutes, c'est très dur à écrire. Parfois on atteint des densités dramatiques, et l'on a besoin d'une petite pause, mais l'on ne peut pas trop la faire. Heureusement, on a des leviers. Par exemple, en créant un dessin animé 2D à l'intérieur du film. Au-delà du fait qu'on aime le faire, c'est une économie qui compte et permet de s'offrir plus de choses par la suite. Et puis la contrainte elle est longtemps créative : tu tranches, tu enlèves... Le problème que j'ai, c'est que j'aime les situations qui parlent pour ne rien dire, qui s'enlisent... C'est du temps, ça ! Au cinéma, ça ne coûte rien : les caméra tournent (sourire). Ici, c'est de l'image...
Il reste une séquence “astierisque“ autour de la barbe des druides...
Elle est là (rires) ! Et ça marche bien, d'ailleurs...
Une note musicale pour finir. Dans Le Domaine des Dieux, les cornes des soldats trompétaient le jingle de RTL composé par Michel Legrand. Ici, il y a une auto-référence au générique de Kaamelott. Faut-il y entendre une réminiscence de la série ou le teasing d'un futur film ?
C'est Clichy qui a voulu les mettre. Je lui ai dit : « t'es sûr ? Les gens vont dire que c'est moi qui me parle à moi-même. — Non, c'est sympa comme truc — OK. » Mais dans un fond de ma tête, je me suis dit, ouais, peut-être que des gens le prendront comme quelque chose à venir. Bah, très bien... (sourire qui en dit long)