Nuits de Fourvière / Entre fidélité aux artistes confirmés et confiance à ceux qui esquissent le théâtre de demain, le festival des Nuits de Fourvière présente deux artistes aimés : Bartabas et Lorraine de Sagazan, hors des théâtres gallo-romains, amènent leur regard si singulier sur le monde.
Bartabas
Il l'a considéré comme son ultime spectacle lorsqu'il l'a crée chez lui, dans ses écuries d'Aubervilliers au pied des tours d'immeubles. À l'automne 2017, Ex Anima devait être sa dernière œuvre. Rien n'est moins sûr, mais là n'est pas la question car ce spectacle est bien dans la continuité de ce que Bartabas esquisse depuis plus de trente ans : mettre le cheval au cœur de son dispositif et lui laisser peu à peu toute la place au point qu'ici les humains s'effacent avec un hommage pour tant de services (en situation de guerre, de travail des champs...) rendus. « Le cheval n'est obligé à rien » comme il nous le confiait au printemps.
Dans des tableaux qui laissent le spectateur en suspension, il est question de souffle, celui de l'âme selon la traduction latine de Ex Anima. Il s'agit de « regarder un cheval raconter l'Homme » car « le cheval est perçu comme un acteur ». Si Bartabas fait ce parallèle, c'est qu'il y a la même intensité à voir l'animal s'avancer sur une poutre qu'un comédien à saisir un verre d'eau sur une table sur scène. Le spectateur est dans la même position de prendre pour unique un geste cent fois répété. Et potentiellement très différent de la veille ou du lendemain. Loin de la voltige de Calacas, Battuta ou Triptyk, il renoue avec la matière dont il dit aimer avoir parlé par exemple avec Soulages : « j'avais du peintre une idée très intellectuelle, nous ne nous sommes parlé que de brosses ! » C'est cette simplicité et cette sobriété qui sont à l'œuvre dans Ex Anima.
Lorraine de Sagazan
À Théâtre en Mai en 2016, l'important festival dijonnais, elle amenait une forme de frontalité et de rire pas si courantes au théâtre. Lorraine de Sagazan remodelait Démons de Lars Noren et y trouvait la violence pas si sourde du couple que décrit Lars Noren en ne gardant – dans un premier temps – que deux des quatre personnages. Avec Maison de poupée, ensuite, elle inverse les rôles. C'est Madame qui travaille et Monsieur qui attend à la maison. L'irrévérence d'Ibsen et son manifeste pour plus d'égalité s'y retrouvaient malgré trop de concessions aux "trucs" du théâtre contemporain (projection de mots-clés, etc).
Au vu des répétitions de L'Absence de père (nom original de Platonov) à Bobigny en mai dernier avant sa première aux Nuits de Fourvière, Lorraine de Sagazan, comédienne formée au studio-théâtre d'Asnières et un temps assistante d'Ostermeier, retrouve l'absolue liberté qui caractérise son travail. Dans un dispositif quadri-frontal, ses comédiens se cognent aux parois d'une maison sans murs. Leur justesse est désarmante. Ils sont Platonov et consorts jusqu'au bout d'eux-mêmes. La langue de Tchekhov est tenue, parfois modifiée de quelques mots mais jamais reniée. Un acteur, en répétition, se perd dans son texte – « parce que c'est ça la situation, dit-elle, le personnage ne sait plus s'il a besoin de la gifler ou de l'embrasser ». L'engagement physique fait pleinement partie de cette mise en scène à la vitalité stupéfiante. L'Absence de père est au croisement d'une approche totalement générationnelle (les trentenaires) et parfaitement intemporelle (Tchékhov).
Les Nuits de Fourvière
À Lyon et environs jusqu'au 30 juillet
Ex Anima
Au parc de Parilly du vendredi 14 juin au mercredi 24 juillet
L'Absence de père
À l'ENSATT du mercredi 26 au samedi 29 juin