L'Institut Lumière fait d'une pierre deux, voire trois coups, en conviant son président Bertrand Tavernier pour un rendez-vous autour de la réédition de son pavé d'entretiens avec des cinéastes d'Hollywood, Amis Américains. Tout juste auréolé d'une Étoile d'Or remise à Marrakech par son ami Harvey Keitel, le cinéaste-historien dédicacera son volumineux ouvrage à l'entracte de la soirée composée de deux films — difficile de faire moins. D'abord, Quand la ville dort (1950) de John Huston (Asphalt Jungle, à ne pas confondre avec While the City Sleeps, La Cinquième Victime de Fritz Lang), qui vit Sterling Hayden, bien avant L'Ultime Razzia, camper le cerveau d'un casse. Suivra fort logiquement puisque le cycle Fritz Lang bat son plein à l'Institut Lumière, une réalisation américaine du maître allemand, Espions sur la Tamise / Le Ministère de la peur (1944). Adapté de Graham Greene, ce thriller d'espionnage censé se dérouler en Angleterre mêle malgré lui le personnage de Ray Milland à un réseau de nazis ayant infiltré les hautes sphères britanniques via un organisme de bienfaisance dirigé par des réfugiés autrichiens.
Contribuant à sa façon à “l'effort de guerre” puisqu'il désigne l'ennemi et dénonce la 5e colonne, Lang n'oublie pas sa propre situation de réfugié — « d'alien », comme dit dans le film —, montrant que tous les germanophones ne sont pas des nazis en puissance. À cette incontournable dimension politique s'ajoute une intrigue sociétale d'avant-garde : le héros a en effet été interné en hôpital psychiatrique pour avoir tué sa femme incurable, alors qu'il s'agit en réalité d'une euthanasie. Outre les réminiscences des films d'espionnage de la période allemande de Lang, Die Spinnen et Les Espions, Le Ministère de la peur contient enfin une séquence d'occultisme spirite. L'allusion à Dr Mabuse est très claire... bien que dans une pénombre expressionniste.
Asphalt Jungle + Le Ministère de la peur
À l'Institut Lumière le jeudi 19 décembre dès 20h30